Sur Instagram, les esprits s'éveillent peu à peu, et de plus en plus de voix se libèrent afin de valoriser les transidentités au sein du réseau social. Un travail de visibilité cher aux yeux de Julien, jeune homme gay et créateur du compte "T'es pas Solo". D'une publication à l'autre, l'internaute et militant invite les principaux concernés à partager leur vécu. Son mantra ? "Libère ta voix, montre la voie". Un message fédérateur.
Recueillis et mis en forme, ces témoignages mettent en lumière bien des discriminations. Mais également des doutes, des angoisses, des questionnements. "Ça fait maintenant trois ans que j'ai fait mon coming out de transgenre à ma mère", "J'ai toujours su que je me sentais garçon", "Je m'appelle Walter, enfin c'est le prénom que je me suis donné"... Les paroles anonymes s'expriment et incitent les lecteurs et lectrices à dialoguer à l'unisson. Un cercle vertueux essentiel à l'heure où l'on scande "La transphobie tue" dans les rues de Paris.
Du côté de chez "T'es pas solo", l'audience dépasse déjà les 3000 followers quelques mois seulement après la mise en ligne du premier post. Son instigateur nous dit tout sur la genèse de ce compte, ses intentions intimes, la réalité des oppressions de "la société hétéro-normée" et l'importance de faire porter ces voix.
Julien : Jeune, je n'ai pas eu la possibilité d'échanger sur ce que je ressentais, de comprendre qui j'étais ou encore de me dire que j'avais le droit d'aimer un autre garçon en étant moi-même un garçon. Je me suis rappelé ce que c'était de se sentir "anormal", exclu et seul. Je voulais éviter ça pour d'autres, j'avais envie de leur dire : "T'es pas solo". Le projet était né.
Il me tenait à coeur depuis un moment, mais je n'avais pas trouvé le temps de passer à l'action avant le confinement. Via ce compte et ce hashtag, je souhaite donner aux personnes LGBT+ un endroit de partage pour se retrouver, se libérer et se raconter. Une "safe place" où l'on peut librement raconter sa vie LGBT+ ou tout simplement lire le témoignage des autres.
Pour ce qui est des témoignages, je les reçois spontanément via DM ou mail, je les mets en forme et les publie de façon anonyme ou non. L'objectif du compte est donc double : libérer les voix de la communauté, mais aussi montrer la voie à celles, ceux et celleux qui en ont besoin.
Julien : Plusieurs choses m'ont donné envie de contribuer à mon niveau. Tout d'abord, la montée de la haine et des agressions envers les personnes LGBT+, et notamment envers les personnes trans. J'ai eu un besoin de m'exprimer haut et fort sur cette société dans laquelle nous vivons, où des personnes trouvent normal d'harceler, agresser, ou pire tuer d'autres personnes pour leur différence.
On regarde beaucoup chez les autres, mais aujourd'hui encore en 2020 en France, trop de personnes LGBT+ sont isolé·e·s, rejeté·e·s et parfois même violenté·e·s (que cette violence soit mentale ou physique). On peut citer par exemple Julia, victime d'agressions et d'injures transphobes à la sortie du métro République à Paris, il y a tout juste un an.
Deux chiffres sont aussi particulièrement insoutenables et doivent changer pour la communauté trans : l'espérance de vie des femmes transgenres est seulement de 35 ans aux États-Unis et les personnes trans ont 10 fois plus de risques de se suicider que leurs pairs cisgenres.
La deuxième chose qui m'a poussé à lancer ce compte, c'est tout simplement le soutien que je voulais apporter aux personnes qui en ont besoin. On ne se rend pas toujours compte de l'isolement et la détresse de certaines personnes LGBT+. Il y a des moment clés dans une vie LGBT+ où le passage à vide peut être très douloureux : adolescence, puberté, entrée dans le monde adulte, coming out à ses proches, transition, rapport à la sexualité...
Je veux donc permettre via ce compte de normaliser ces sujets-là, car ils ne sont jamais (ou très peu) abordés via les instances d'intégration traditionnelles (école, travail, famille). Une personne LGBT+ doit se construire seule le plus généralement et c'est injuste.
Via les témoignages recueillis, je montre d'un côté la dureté de certaines vies pour faire changer les choses (ici par exemple). Mais je veux aussi montrer le bonheur de certaines autres pour montrer que même si le chemin est semé d'embûches, il peut déboucher sur une fin heureuse. Voir par exemple le témoignage de Coco sur son coming out lesbien, puis trans, ou encore celui du blogueur et vidéaste transgenre Crazyden.
Et enfin, je souhaite aussi rendre visible notre communauté, en montrant à tous nos opposant·e·s que nous sommes là, infaillibles ! Personne ne devrait se poser autant de questions par rapport à son identité ou ressentir autant d'oppression quant à sa personne. C'est injuste et mon projet est avant tout un acte militant pour lutter contre les oppressions de la société hétéro-normée.
Julien : Pour le moment je n'ai eu que des retours positifs et de la bienveillance. Je n'ai jamais eu de commentaires négatifs, de haters ou de trolls. J'imagine que cela arrivera un jour malheureusement... Je reçois surtout des messages privés me disant que mon compte leur fait du bien et que cela les rend heureux·ses de savoir qu'ils/elles sont représenté·e·s.
On me propose aussi de l'aide, notamment des personnes transgenres qui se proposent de prendre le relais quand un/une follower trans a besoin d'aide ou a des questions sur la transidentité : "J'aime beaucoup aider et encourager.... Surtout dans tout ce qui est transition... harcèlement... dysphorie... Donc si parfois, tu as des questions ou tu te sens pas trop bien, n'hésite pas, ça me fait vraiment très plaisir".
En commentaires, ce ne sont que des messages d'encouragements et de l'échange intra-communautaire. C'est très agréable de voir cette solidarité digitale se mettre en place.
Julien : Je pense que la visibilité trans au global, avant de parler d'Instagram, est de plus en plus forte et c'est énorme comme avancée ! Il y a de plus en plus de représentations et représentant·e·s de la communauté : la séries Pose et ses actrices (Indya Moore, Dominique Jackson, Angelica Ross, Mj Rodriguez...), la mannequin Leyna Bloom, l'humoriste Océan, l'acteur Alex Blue Davis de Grey's Anatomy, Laverne Cox et sa cover pour le TIME...
Côté Instagram, je pense donc qu'il y aussi beaucoup de visibilité et on le voit au travers de hashtags puissants comme : #TransIsBeautiful ou #thisiswhattranslookslike Je pense cependant qu'il y a encore un effet d'entre-soi et que pour le moment cette communauté reste encore trop peu visible. Il y a encore beaucoup de chemin à parcourir.
Julien : Je pense que oui. Le digital permet au sens large de donner la voix aux gens et d'avoir une mobilisation citoyenne, sans précédent. Les réseaux sociaux, et donc Instagram, sont devenus la nouvelle agora citoyenne. Beaucoup de causes ont été rendues visible grâce au digital et à un réseau social comme Instagram.
Il n'y a qu'à regarder ce qui se passe aujourd'hui avec le mouvement #BlackLivesMatter ou ce qui s'est passé avec le hashtag #MeToo. Il n'y a pas de raison que le mouvement trans ne suive pas !
Julien : C'est en tout cas ce que j'espère. Une des choses qui m'a poussé à lancer ce compte, c'est tout simplement le soutien que je voulais apporter aux personnes LGBT+ qui en ont besoin. En lançant ce compte, je me suis dit si j'arrive juste à faire se sentir mieux quelques personnes, j'aurai tout gagné.
Via ce compte et ce hashtag, je voulais donner du courage aux personnes LGBT+, leur permettre d'assumer qui elles sont et leur montrer qu'elles n'étaient pas seules.
Julien : Les comptes de crazyden et d'agressively_trans en France.
Celui de l'actrice Indya Moore aux Etats-Unis.