Livres
Un livre passionnant pour déconstruire la bible de manière féministe
Publié le 26 décembre 2018 à 17:53
Par Marguerite Nebelsztein
Coincée entre les modèles de la pêcheresse Eve et de Marie la vertueuse procréatrice, il ne reste que peu de place pour les femmes dans la tradition biblique. Mais un livre passionnant vient rebattre les cartes et nous offrir de nouvelles représentations.
Le livre la Bible des femmes Le livre la Bible des femmes© Labor et Fides
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Même si vous n'êtes pas chrétien·nes, si vous n'avez jamais jeté un oeil à la bible ou que vous n'êtes jamais allé·e à la messe, le livre Une bible des femmes va vous passionner.

La Bible est le texte qui pose les fondements de notre société majoritairement judéo-chrétienne (mais pas uniquement). D'elle découlent des imaginaires qui nous pétrissent sans que nous nous en rendions bien compte.

Alors lire cette formidable déconstruction qu'est Une bible des femmes est salutaire. Réunis en comité de chercheuses venues d'Europe, d'Afrique et du Québec, des théologiennes protestantes et catholiques francophones ont relu la bible en tentant d'épousseter ce regard masculin dont elle souffrait.

Il en ressort que les femmes ont souffert d'interprétations parfois mal attentionnées de la bible, mais aussi de traductions trompeuses. Les femmes peuvent être prophètes, elles peuvent aussi servir dieu en étant libérée de "l'enfermement entre dévouement et dévotion".

Non, les femmes ne sont pas des bonniches dans la bible et le livre nous fait également nous interroger sur leur soumission. Aussi, dans la tradition, le poids du pêché pèse sur Ev, mais c'est une toute nouvelle image de cette épisode fondateur qui va se révéler dans cette ouvrage.

Lisez avec attention le chapitre sur le corps des femmes où il est question de "pudeur pour réduire au silence le corps féminin" mais aussi du "vêtement au service d'une pudeur qui dit la fierté d'être une femme".

Une bible des femmes nous fait même nous poser des questions sur la relation entre virilité et féminité. Elle pose aussi les obligations de maternité des femmes, Eve ayant dû enfanter pour se racheter : "Car à travers Eve, la moitié féminine de l'humanité se serait laissé séduire et n'aurait pas su discerner entre les doctrines trompeuses et la parole véritable ? Cette défaillance aurait marqué les femmes en profondeur."

Écrit en écriture inclusive, ce livre fait un voeux dès l'introduction : "Nul besoin de jeter la Bible si l'on est féministe - et nul besoin de rejeter le féminisme si l'on est chrétienne. Mais savoir lire ...avec perspicacité et rébellion."

Pour nous en parler plus en détails, Elisabeth Parmentier, professeuse à la Faculté autonome de théologie protestante de l'Université de Genève et à l'Institut lémanique de théologie pratique, a répondu à nos questions. Elle a co-dirigé cet ouvrage passionnant et veux que cette nouvelle vision de la bible passe aussi vers les non-croyant·es.

Terrafemina : D'où vient l'idée de ce projet ?

Elisabeth Parmentier : Entre 1895 et 1898 une suffragette américaine, Elizabeth Cady Stanton, a réuni une vingtaine de femmes pour publier une Woman's Bible, première rébellion féministe contre la Bible. Elles rédigèrent des commentaires contre les rôles figés des femmes.

Pierrette Daviau, Lauriane Savoy et moi avons réuni une vingtaine de théologiennes universitaires et formatrices mais pour un projet différent : montrer comment la Bible peut être lue à frais nouveaux et où elle recèle un potentiel libérateur aussi pour les femmes d'aujourd'hui.

Nous partons des perspectives de différents univers puisque nous sommes des catholiques et des protestantes, de plusieurs générations de féminisme (entre 30 et plus de 70 ans), d'Europe, du Québec et d'Afrique. Cette polyphonie est importante pour nous.

Pourquoi fallait-il relire la bible avec ce regard féministe ?

E.P : Ce que nous exposons est le fruit de nombreuses recherches en sciences bibliques, dont nous voulons être porte-paroles. On ne sait pas assez combien les interprétations bibliques ont changé depuis que le travail sur les textes inclut la critique historique et analyse les contextes des époques de rédaction.

Il faut mettre en valeur le fait qu'il n'y a pas "la" Femme dans la Bible, pas une image isolée ou des normes spécifiques, mais "des" femmes, et même dans une très grande diversité de rôles : prophétesses, reines, participantes au gouvernement du peuple d'Israël ("juges"), missionnaires, responsables de maisons qui accueillaient les premiers chrétiens, et même des femmes qui suivirent Jésus avec les disciples sont mentionnées avec leurs noms ! Mais on n'en parle pas assez.

Enfin n'oublions pas que les femmes au matin de Pâques sont celles qui reçoivent l'ordre d'aller annoncer aux hommes la Résurrection. Tout cela, nous voulons le transmettre aussi aux personnes qui ne connaissant pas bien la Bible ou le christianisme.

Quand on vous lit, on a une autre vision d'Ève. Est-ce que c'est ce fameux male gaze qui a tordu l'image que les praticant·es des religions du Livre ont sur les femmes ?

E.P : Plusieurs problèmes ont biaisé le regard sur les textes : les cultures dans lesquelles le christianisme s'est développé, qui ont voulu conserver les normes sociales ; la transmission chrétienne qui n'a cité avec prédilection que certains versets en occultant d'autres (par exemple Ephésiens 5,22 " femmes soyez soumises à vos maris ", en oubliant l'autre côté qui suit : " maris, aimez vos femmes " 5,25 – révolutionnaire pour les années 50 de notre ère !), des traductions qui favorisaient l'idée de la femme domestique, par exemple "la servante" alors que le terme grec parle du "service" et est aussi utilisé pour les hommes et pouvait être une responsabilité dans l'Église ou la société !


Ce qui était novateur dans l'attitude de Jésus et des premiers chrétiens a été domestiqué dans les générations suivantes qui durent s'adapter aux réalités de leurs sociétés.

Mais il faut dire aussi que le simple fait que les rédacteurs bibliques, tous des hommes et de siècles bien anciens, n'ont pas pour autant enlevé les noms des femmes des textes et ont bien valorisé leur présence et leur importance, ce qui en soi est déjà plein de potentialités : la Bible ne montre pas un univers d'hommes seulement!

Pourquoi est-il important même pour des non-chrétiennes de lire votre livre? Est-ce qu'il permet une autre grille de lecture sur la société ?

E.P : Nous avons voulu donner à chaque chapitre, à partir des thématiques bibliques, aussi une orientation existentielle par rapport à la vie d'aujourd'hui, en évoquant des enjeux de la violence, du corps, des étrangères, des responsabilités au travail, etc.

Il ne s'agit pas du tout "d'appliquer" ce que dit la Bible aux réalités d'aujourd'hui, mais de voir que des questions qui traversent l'humanité sont restées actuelles, par exemple qu'est-ce qu'une "bonne" vie ? Comment vivre la stérilité ? Est-ce que la pudeur est une valeur ringarde ?

Et comme dans la Bible, dans la vie la valeur d'une personne n'est pas déterminée par des "normes" ou des stéréotypes de beauté, ni pour le comportement, ni pour le corps, mais par une diversité de possibilités et de richesses. Ce n'est donc pas un livre "d'histoires de femmes" mais des interrogations en lien avec la vie.

Peut-on être chrétienne et féministe ?

E.P : Le féminisme dans le christianisme n'existerait pas si le christianisme lui-même ne portait pas en germe de quoi aller au-delà des stéréotypes et des enfermements.

C'est d'une part l'attitude très dialogale de Jésus de Nazareth qui traita les femmes comme de vraies interlocutrices. C'est aussi le fait que les textes bibliques, pourtant écrits par des hommes, évoquent bien des femmes qui sortaient des images traditionnelles. Cela montre déjà une liberté.

De plus l'apôtre Paul donne une clé du sens même du christianisme, dans la lettre aux Galates (3,28) : " Il n'y a plus ni Juif, ni Grec ; il n'y a plus ni esclave, ni homme libre ; il n'y a plus l'homme et la femme ; car tous, vous n'êtes qu'un en Jésus Christ ". Il y a donc, bien plus qu'on ne le croit, un mouvement vers une libération des unes et des autres, et des potentialités de partenariat.


L'Église catholique est-elle prête à accepter une révolution féministe en son sein ?

E.P : Il y a beaucoup de révolutions qui ont déjà été réalisées, et on se focalise trop souvent sur l'interdiction aux femmes d'être prêtres. Mais de nombreuses femmes sont théologiennes, ou sont coopératrices de pastorale, ou responsables de grands mouvements.Elles participent de plus en plus dans des lieux décisionnels.

Bien sûr le Vatican continue à être un monde d'hommes, mais cela n'empêche pas qu'il sera impossible de ne pas mettre à profit les talents de si nombreuses femmes engagées. Le temps où on ne voyait que "la" Femme entre Eve et Marie, est révolu.

De toute façon les femmes n'ont pas à se limiter en ne voulant devenir prêtres, elles ont tant d'autres possibilités, et je suis convaincue que la qualité de leur engagement s'imposera d'elle-même, même si cela prend du temps.


Le féminisme chrétien passe-t-il par le protestantisme qui est plus libéré des structures ?

E.P : Dans le protestantisme, il n'est pas nécessaire d'être dans le ministère pastoral pour participer aux structures décisionnelles, puisque les laïques y siègent à majorité, et que de très nombreuses personnes engagées sont des femmes.

Mais cela ne dit pas tout. Il y a aussi des formes de protestantisme où les rôles des femmes et des hommes sont restés très figés.

En fait, plus que pour les Églises, je suis inquiète des modèles sociaux. Dans une société hyper visuelle et érotisée en permanence, je trouve grave que les stéréotypes sexuels soient devenus la quasi obligation – faut-il des gros implants mammaires et fessiers pour "être quelqu'un" ? Faut-il jouer des muscles pour être un vrai homme ? Qu'est-ce qu'on propose aux jeunes aujourd'hui en dehors de devenir de grands consommateurs de technologie ? Quels idéaux ? Le féminisme défend un vrai idéal d'humanisation et de solidarité avec les " petit·es" avec les personnes qui n'ont pas les mêmes chances.

Une bible des femmes, sous la direction d'Elisabeth Parmentier, Pierette Daviau et Lauriane Savoy, Editions Labor et Fides, 19€

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