C'est fini, le temps de Barbie et Oppenheimer : on fonce découvrir en cette rentrée les nouveautés qui viennent envahir nos salles obscures. Et parmi elles, une sortie discrète à découvrir dès à présent : le japonais La beauté du geste, portrait de femme pas comme les autres signé Sho Miyake.
Ce film relate l'histoire (totalement vraie) de la jeune boxeuse Keiko Ogasawara, en s'inspirant de sa propre autobiographie. Keiko combat sur le ring, mais une chose la différencie des autres : elle est sourde. Ce qui ne facilite pas les choses lors des directives de son entraîneur, des ordres de l'arbitre, des annonces de victoire ou de défaite... Cependant, la sportive, travailleuse domestique en dehors du gymnase, persévère. Toujours.
La beauté du geste explore un genre spécifique, synonyme d'intensité : le film de boxe. On y retrouve bien des éléments : il y est question d'une lutte qui touche autant au quotidien qu'aux rings, de raisons intimes de se battre incomprises par les autres, de protagonistes prolétaires, marginalisés, qui extériorisent une certaine frustration en s'époumonant, gants aux poings.
Mais c'est avant tout un grand portrait de femme. Authentique, et bouleversant.
Au coeur de La beauté du geste, nous éblouit Yukino Kishii. L'actrice japonaise de 31 ans seulement porte sur ses épaules un film dont la mise en scène saisit avec délicatesse ses émotions retenues ou libérées, sa fatigue physique, ses chagrins, mais aussi ses silences (car son personnage, bien que non muet, ne parle quasiment jamais) et ses sourires. Keiko économise ses mots et ses gestes, ce qui ne les rend que plus précieux. Dans une société qui l'invisibilise, elle vit malgré tout, omniprésente dans le cadre, bel et bien là.
Le fait de relater le quotidien d'une travailleuse précaire, se permettant des parenthèses sportives où elle se "relâche", confère toute une dimension sociale au sport fédérateur mis en scène. Un aspect fondamental. Dans le premier Rocky déjà, le personnage de Rocky Balboa était issu des classes populaires. C'était un "nobody", un anonyme, qui en agitant ses poings venait combattre pour tous ceux que l'on ne daigne pas regarder, qui n'ont pas droit aux projecteurs. La beauté du geste fait perdurer cette fibre intime et politique.
Mais le fait d'une façon tout à fait atypique : en misant tout sur l'anti-spectaculaire, et l'anti-climactique. Des entraînements de la protagoniste, loin d'être noyés de mélodies épiques, aux combats, où les coups sont à peine montrés à l'écran, et s'entendent principalement hors-champ. Idéal pour mettre l'accent sur le personnage, plus que sur ses prouesses physiques. Son regard, sa profonde sensibilité, son rapport au monde... Et notamment aux paysages urbains, qui semblent s'éveiller en même tant qu'elle, et évoluer à son rythme.
Se focaliser à ce point, d'une façon naturaliste et contemplative, sur l'expérience émotionnelle ordinaire d'un personnage vulnérable, aussi mutique qu'à bout de souffle, qui inspire la sympathie sans ne jamais chercher à l'être (lors d'une scène, elle refuse un sourire aux photographes) c'est miser sur l'empathie du public, et son intelligence. Une intention de cinéaste féministe.
Une oeuvre épurée donc, fragile, à hauteur de femme. Précieuse !