Culture
We the People : la pétition politique selon Barack Obama
Publié le 2 décembre 2011 à 10:00
Par Marion Roucheux
Etablir une ligne directe entre le président des Etats-Unis et les citoyens américains : tel est l'objectif affiché du site « We the People », un système de pétitions en ligne. Quand l'une d'entre elles atteint 25 000 signatures, l'administration Obama s'engage à y apporter une réponse dans les 30 jours. Analyse des enjeux de ce système avec Séverine Bellina, directrice de l'IRG (Institut de Recherche et débat sur la Gouvernance).
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Terrafemina : La Maison Blanche présente son système comme un lien direct entre le peuple et le président des Etats-Unis. Est-ce vraiment une nouvelle forme de participation politique ?

Séverine Bellina : La pétition n’est pas un procédé nouveau, cela a toujours constitué un moyen pour connecter les citoyens et les gouvernants. D’ailleurs le site « We the People » rappelle que ce système de pétition est au moins aussi ancien que la constitution américaine puisqu’il fait partie du 1er amendement. Avec « We the People », on assiste cependant à la mutation de cet instrument démocratique : la pétition liée à la révolution numérique est une nouveauté. Via Internet, on rapproche le citoyen des dirigeants en termes d’accessibilité et de temporalité. Reste à voir comment cela va s’articuler à une notion plus large de gouvernance légitime et comment cela peut participer à ré-enraciner sociologiquement le politique. Avec ce nouveau site, Barack Obama développe sa stratégie politique de mise en place de l'« open governement » avec trois piliers : accessibilité, transparence et participation. Cela s’inscrit dans la continuité de la dynamique engagée à l’occasion de sa campagne présidentielle au cours de laquelle il s’était appuyé sur les réseaux sociaux. L’autre intérêt de cette pratique et de ce site est le rétablissement du local dans un contexte de globalisation. Quant à parler de participation politique, j’hésite. Est-on plus dans le renforcement du débat et de l’expression publics ou véritablement dans une idée de coconstruction des politiques ? Il faudra avoir plus de recul sur le fonctionnement du site pour pouvoir le dire.

TF : Dans un contexte de crise internationale, on voit émerger de plus en plus la demande de nouvelles formes de gouvernance. La pétition, et de manière générale la démocratie participative, sont-elles selon vous une réponse pertinente ?

S.B. : Le constat général sur la gouvernance publique est que le décalage est de plus en plus fort entre les institutions, les gouvernements et les peuples. Ce qui se passe dans le monde arabe ou à travers le mouvement des indignés en sont des expressions fortes. Mais ce sont également autant de manifestations du réinvestissement du politique par les citoyens. Si vous faites le lien avec le numérique et les réseaux sociaux, est-ce que ces vecteurs de participation politique seront pour autant des vecteurs de repolitisation et de reconnexion avec l’élite dirigeante ? Cela reste à voir. Reste que ce site « We the People » participe de ce mouvement de création d’outils adaptés à l’idée de  gouvernance légitime : la co-élaboration, avec un rôle spécifique de l’instance publique, de l’action publique. La légitimité, cela signifie renforcer ce qui fonde l’adhésion des populations au pouvoir. La participation, à condition qu’elle soit réalisée dans des conditions et selon des modalités spécifiques, articulée à d’autres modalités de la démocratie et si elle permet une vraie coproduction de l’espace public, est alors un moyen de reconnecter véritablement les populations et le pouvoir.

TF : Le fait de créer un lien « direct » entre le président et les citoyens pose également de nombreuses questions. Quid de la légitimité et de la régulation politique ?

S.B. : Cela pose en effet de nombreuses questions : celle de l’accélération du temps avec les outils numériques, celle également de la subjectivisation du politique. Autre interrogation : est-on dans l’engagement politique, citoyen, social ? Est-ce que gouvernance participative veut dire la même chose que gouvernance légitime ? Je n’en suis pas certaine. Cela réinterroge le rôle des institutions publiques qui doivent garantir l’intérêt général. Si je peux influer via une pétition sur le politique et le projet politique collectif, cela m’interroge beaucoup. Le risque est en effet de  rentrer encore plus dans une logique de lobby et de rapport de force d’intérêts spécifiques, qui existe forcément dans la sphère publique. L’enjeu est alors d’inscrire ce type de procédés dans une vraie régulation politique. C’est tout l’enjeu des mutations politiques générées par la révolution numérique dont les Américains et le monde anglo-saxon  ont d’avantage pris conscience que nous, Européens et Français. Cela nous permet d’imaginer les outils adaptés de la gouvernance, même si ça pose de nouveaux problèmes éthiques.

TF : Quels problèmes éthiques peut poser ce type de système ?

S.B : On observe de plus en plus une déviance vers la volonté de personnaliser le rapport entre le président et le peuple. Cela se fait par une proximité réalisée soit par une privatisation de la vie du dirigeant et la désacralisation du chef de l’Etat, soit par une impression de proximité par le biais de la subjectivisation et de psychologisation du discours politique. La frontière est parfois invisible entre stratégie de communication et mutation de l’exercice du politique. La grande tendance dans la pratique politique est de sortir de l’espace public justement en tenant un discours victimisant pour que chaque citoyen ait l’impression d’avoir été entendu. Le biais populiste n’est alors pas loin. Il y a un risque de mélange des genres et surtout d’oublier les autres lieux de la démocratie. Néanmoins, il est clair que ces nouveaux outils de participation permettent aux nouveaux acteurs de s’engager. Certains observateurs estiment même que par ces outils, l’espace public s’est déplacé sur Internet….

Le site de l'Institut de Recherche et débat sur la Gouvernance
Le site de We the People

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