Culture
Zoé Wittock : "Il y a un vrai intérêt pour les histoires de femmes"
Publié le 15 décembre 2021 à 16:02
Par Catherine Rochon | Rédactrice en chef
Rédactrice en chef de Terrafemina depuis fin 2014, Catherine Rochon scrute constructions et déconstructions d’un monde post-#MeToo et tend son dictaphone aux voix inspirantes d’une époque mouvante.
Quelle place pour les femmes réalisatrices dans l'ère post-#MeToo ? A l'occasion des Arcs Film Festival 2021, rendez-vous incontournable du cinéma européen indépendant, qui se tient du 11 au 18 décembre, nous interrogeons ces cinéastes engagées qui se battent pour faire bouger les lignes. Zoom sur la réalisatrice belge Zoé Wittock.
La réalisatrice belge Zoé Wittock La réalisatrice belge Zoé Wittock© Marie Vinay
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"Longues". C'est ainsi que la scénariste et réalisatrice belge Zoé Wittock résument en un mot ces deux années chamboulées par le Covid. Le premier confinement avait décalé la sortie de son premier film, Jumbo (repoussée à l'été 2020), comme tant d'autres productions l'an passé. Et la cinéaste se retrouvait plongée dans une profonde incertitude face à cette pandémie aux contours inconnus et aux effets dévastateurs.

Alors que les cinémas ont enfin rouvert leurs portes et que l'industrie s'est remise en marche, Zoé Wittock a intégré avec enthousiasme le jury courts-métrages des Arcs Film Festival, rendez-vous incontournable du cinéma européen indépendant qui se tient du 11 au 18 décembre 2021.

Nous l'avons interrogée par mail sur les évolutions de cette industrie post-#MeToo, sur la place des réalisatrices et sur ses inspirations.


Terrafemina : Comment avez-vous vécu ces deux dernières années marquées par le Covid ?

Zoé Wittock : Entre anxiété, ajustements réguliers et montagnes russes émotionnelles, ces deux années furent (et continuent d'être) longues, bien trop longues... Au début de la crise, mon film Jumbo, avec les magnifiques Noémie Merlant, Emmanuelle Bercot, Bastien Bouillon et Sam Louwyck, fut empêché de sortir, mais l'énergie qui fut déployée pour contrecarrer cette dure sentence me gardait optimiste et créative pendant longtemps. Nous n'avions pas le choix! L'originalité et la tension quotidienne du premier confinement m'a fascinée et m'a inspirée grandement, tout en me terrorisant pour mes proches.

Ce qui fut donc le plus dur à surmonter fut la longueur de cette crise encore en cours : la répétition des confinements, la privation de nos droits, l'incertitude économique pour tous, y compris pour le cinéma évidemment. Je fais partie de la SRF (Société des réalisateurs de films) où nous ne cessons de chercher à parer les effets pervers de cette crise depuis les premiers jours. Nous sommes encore à -30/40% de fréquentation en salles... Et l'expérience collective est encore tristement loin de revenir à la normale, ce qui nous maintient en alerte maximale.

Ceci dit, je continue d'être touchée par la solidarité dont nous avons fait preuve depuis le début. Cette crise m'a personnellement poussée à m'engager, affirmant par la même, certaines convictions personnelles !

Qu'est-ce qui freine les réalisatrices encore aujourd'hui ?

Z.W. : Une énorme remise en question des pratiques de notre industrie est maintenant en place, permettant ainsi à de nombreuses femmes d'être plus régulièrement repérées et donc de s'exprimer plus librement. Je décèle aujourd'hui un véritable intérêt de notre industrie autour des histoires qu'elles ont à raconter. Jusqu'à aujourd'hui, nous avions encore assez peu vu d'histoires de femmes, ce qui les rend, de facto, plus innovantes que d'autres !

Ceci dit, malgré les récents progrès, notre éducation, encore teintée pour certaines des restes d'une vision patriarcale autour de la place sociétale de la femme, continue de freiner plus d'une femme dans leur poursuite de postes à responsabilités, tel que celui de réalisatrice. Les études nous montrent par exemple que de nombreuses femmes ne passeront pas le cap des études à la pratique, ou disparaîtront du marché (momentanément ou pas) autour de l'arrivée des enfants.

Avoir un enfant reste encore trop souvent une source de conflit ou de tension dans la vie d'une réalisatrice malgré une claire évolution dans les mentalités et un début d'effort collectif pour intégrer la place éventuelle de garde d'enfants sur des plateaux.

La réalisatrice Zoé Wittock lors du photocall du jury du 35ème festival de Cabourg le 10 juin 2021 © BestImage
A quelles formes de sexisme avez-vous déjà été confrontée dans ce milieu ?

Z.W. : J'ai toujours tendance à éviter de réfléchir au sexisme éventuel dont je pourrais être victime car cela ne m'aide pas à avancer dans mes choix. Peut-être est-ce la raison pour laquelle je ne le remarque que très rarement.

Cela dit, l'une des plus belles que l'on m'ait faite était dans le bureau d'un producteur lorsque je lui présentais mon scénario en sortant de l'école. Sa réaction fut plus ou moins de cet ordre : "C'est bien. Bravo ! Mais, dis-moi, tu l'as écrit toute seule comme une grande, ce scénario ?"

J'aime me rappeler de ce "joli" commentaire quand je défends mon film "comme une grande", du haut de mon 1m83...


#MeToo commence à faire une timide irruption dans le milieu du cinéma français, notamment depuis la cérémonie des César 2020. Comment cela se passe-t-il du côté de la Belgique ?

Z.W. : La Belgique a tendance à suivre les différents mouvements lancés en France. Mais le gros avantage d'un pays comme la Belgique est sa taille. L'industrie étant plus petite, l'intégration de nouvelles moeurs y est plus rapide et plus conviviale.

Personnellement, si je peux parler d'une difficulté qui a primé à mes débuts en Belgique, c'était plutôt la question de ma "belgitude" car j'ai grandi à l'étranger de par la fonction diplomatique de mon père. Ma réponse était que toute ma jeunesse fut consacrée à faire rayonner la Belgique à l'étranger, alors qui de mieux pour défendre une vision artistique belge ! (rires)

Que faudrait-il faire pour booster les représentations féminines devant et derrière la caméra ?

Z.W. : L'égalité des salaires ! Le métier de réalisateur et réalisatrice, contrairement à de nombreuses idées reçues, est pour beaucoup un métier assez précaire. Alors si on y ajoute 20 à 30% de différence salariale, imaginez la difficulté financière d'une femme réalisatrice par rapport à celle d'un homme...

Le film Virgin Suicides de Sofia Coppola © Paramount Pictures
L'année 2021 aura été une belle année pour les réalisatrices, récompensées aux Oscars, à la Mostra, à Cannes. Enfin ?

Z.W. : Oui et non.

Selon moi, la problématique à laquelle nous faisions face, et continuons de faire face, est l'accès à la fabrication des films, les récompenses allant donc de pair. Aujourd'hui, le "miracle" tient à l'évolution du nombre de femmes derrière la caméra, propulsant par là même le nombre de rôles féminins et de récompenses pour chacun de ces talents.

Attention toutefois à ces gros titres qui misent sur le genre de la cinéaste avant son sujet cinématographique, qui parlent de quotas paritaires avant de citer le parcours de ses auteurs et qui permettent ainsi d'alimenter des bruits de couloirs visant à prôner l'illégitimité de certains parcours. C'est pour ces raisons que je reste persuadée que le travail est surtout à faire en début de chaîne de fabrication et financement, et que j'aime sortir de ce débat en fin de chaîne qui, selon moi, n'est et ne devrait être que le reflet d'une industrie de plus en plus riche et d'oeuvres de plus en plus variées.

Quel est votre film "female gaze" préféré ?

Z.W. : J'ai un peu de mal avec ce terme "female gaze". Si je le trouve fascinant pour la compréhension qu'il nous a apportée de certains mécanismes de regards liés à des schémas sociétaux, ce dernier reste très théorique à mes yeux. J'aime le laisser hors du champs de la pratique car je crains qu'il nous limite à nouveau à notre genre. Chaque cinéaste a évidemment un regard unique.

Si je devais donc vous citer mon film préféré réalisé par une femme ? J'en citerai plusieurs :

We Need to Talk About Kevin de Lynne Ramsay
Virgin Suicides de Sofia Coppola
Le documentaire Paris is Burning de Jennie Levingston
Cleo 5 à 7 d'Agnès Varda

Quelles actrices rêveriez-vous de diriger ?

Z.W. : Cate Blanchett, Kate Winslet et Rachel Weisz.

Quels sont vos voeux pour 2022 ?

Z.W. : Rentrer en production de mon prochain film ! Et si possible qui ne soit pas arrêté toutes les deux minutes par un épisode Covid. Voeu pieux ?

Mots clés
Culture festival les Arcs sexisme #MeToo cinéma interview News essentielles
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