cinéma
"Scandale", le raté du premier film post-#MeToo
Publié le 21 janvier 2020 à 17:58
Par Catherine Rochon | Rédactrice en chef
Rédactrice en chef de Terrafemina depuis fin 2014, Catherine Rochon scrute constructions et déconstructions d’un monde post-#MeToo et tend son dictaphone aux voix inspirantes d’une époque mouvante.
Le très attendu "Scandale", qui sort ce 22 janvier au cinéma, revient sur l'affaire Roger Ailes, le boss de la chaîne Fox News accusé de harcèlement sexuel en 2016. Loin d'explorer en profondeur cette déflagration médiatique, le film livre une fable féministe en toc.
Les trois héroïnes du film Scandale Les trois héroïnes du film Scandale© Universal
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Peut-on faire un film féministe sur des femmes anti-féministes ? Le pari était risqué et le réalisateur Jay Roach s'est malheureusement planté. Car l'enjeu de Scandale était de taille : s'attaquer à la retentissante affaire Roger Ailes, qui préfigurait la déflagration Harvey Weinstein un an plus tard. Annoncé comme l'un des premiers films à gros budget de l'ère post-#MeToo, la matière de ce long-métrage était explosive. Car ce ne sont pas les activistes qui ont lancé le hashtag révolutionnaire ou les actrices qui ont ouvert cette brèche salutaire qui se retrouvent au coeur de Scandale. Ses figures principales sont Megyn Kelly et Gretchen Carlson, les présentatrices vedettes qui ont accusé le président et chef de la direction de la chaîne controversée Fox News, Roger Ailes, de harcèlement sexuel et l'ont poussé à la démission en 2016. Des femmes notoirement connues pour leurs positions conservatrices. Touchy donc.


Par maladresse (ou facilité), Scandale va pourtant s'employer à nous rendre sympathiques ces personnages mal aimables. Pire : le long-métrage les érige en héroïnes féministes. Le tout en occultant très largement le contexte politique dans lequel ces journalistes naviguaient.

Le film s'ouvre sur Megyn Kelly (Charlize Theron) qui nous fait faire un petit tour des locaux et de l'organisation de Fox News. Elle s'adresse à nous droit dans les yeux. La voix est grave, le ton se veut sarcastique. Megyn est impériale, une star, une guerrière. Et la voici d'ailleurs en première ligne pour "chercher la vérité". C'est elle qui montera au créneau pour questionner Donald Trump lors du débat pour la primaire républicaine en 2015 sur "sa guerre contre les femmes". Une attaque frontale qui vaudra à la journaliste d'être harcelée pendant des mois par le businessman sur Twitter. Dès le départ, le film pose donc Megyn Kelly comme une courageuse insoumise qui ose challenger un politique misogyne, bousculer la politique de sa propre chaîne et chahuter l'establishment. Une rebelle donc. Avec des principes louables, même si elle le clame : "Je ne suis pas féministe".

De la même manière, Gretchen Carlson (Nicole Kidman) apparaît comme une lanceuse d'alerte, une championne de l'égalité, qui n'hésite pas à se montrer sans maquillage pour inspirer les jeunes femmes. On nous remémore les attaques sexistes qu'elle a encaissées ("Personne ne veut regarder une femme d'âge moyen transpirer jusqu'à sa ménopause") et on la présente comme une franc-tireuse qui prend position contre les armes à feu. "Tu seras muselée", préviennent ses avocats alors qu'elle s'apprête à signer un accord de confidentialité avec Fox News. "Peut-être", réplique-t-elle avec un sourire, suggérant qu'elle sera l'une des valeureuses qui libérera d'autres femmes opprimées.

Tout cela est parfaitement lisse et manichéen. Mais ce n'est pas aussi simple.

Charlize Theron en Megyn Kelly dans Scandale © Universal
Un portrait édulcoré et paresseux


Oui, Scandale donne à voir la violence inouïe subie par les employées de Fox News. Comme cette séquence glaçante dans laquelle l'aspirante présentatrice Kayla (personnage fictif- et trop superficiel- incarné par Margot Robbie) se voit ordonner par Ailes de remonter sa robe, encore et encore (une scène par ailleurs qui adopte maladroitement le point de vue du prédateur). Et oui, ces femmes ont été victimes d'un odieux boys club.

Mais ce Scandale fait bien peu de cas d'un environnement plus complexe. Car si traiter du harcèlement systémique qui avait cours à Fox News est salutaire, se contenter d'effleurer les rouages de cette machine sexiste et brosser un portrait pop et édulcoré de ces protagonistes ambiguës se révèle problématique.

Car cette satire balourde, saturée de gimmicks irritants à la Big Short, fait largement abstraction de l'idéologie qui imprègne ses "justicières" : elles sont complices du système. Pire : elles ont endossé le costume de l'oppresseur. Megyn Kelly et Gretchen Carlson, comme leurs patrons, ont activement alimenté une chaîne spécialisée dans les "fake news" qui a contribué à faire élire Donald Trump (lui-même accusé d'agressions sexuelles). Ces présentatrices puissantes ont participé à élaborer une plateforme qui dénigre et écrase méthodiquement les femmes, les personnes LGBT, les personnes racisées, les non-chrétiens. Et elles n'ont pas hésité à piétiner des valeurs universelles pour accomplir leur destin individuel, perpétuant impitoyablement la structure tant qu'elle leur était favorable.

Ainsi, Megyn Kelly s'est rendue célèbre pour de nombreux commentaires racistes (à peine évoque-t-on une fraction de seconde son fameux "Le Père Noël est blanc, Jésus était un homme blanc aussi"). Par exemple, elle n'avait encore récemment aucun problème avec le "blackface" : "Qu'est-ce qu'il y a de raciste ? Quand j'étais enfant, c'était OK, du moment où tu étais déguisé·e". Un commentaire qui lui vaudra d'être licenciée de NBC, sa nouvelle chaîne d'adoption post-Fox, en 2017.

Gretchen Carlson s'est quant à elle illustrée dans des théories du complot (l'administration Obama cachait selon elle une épidémie du virus Ebola se propageant aux Etats-Unis), des commentaires transphobes et homophobes ou encore xénophobes.

Ne fallait-il pas traiter de cette affaire sous prétexte que ces femmes véhiculent une idéologie nauséabonde ? Bien sûr que si. Car le fléau du harcèlement sexuel au travail traverse (malheureusement) toutes les strates de la société et il est nécessaire de le dévoiler, le commenter et le dénoncer. Mais si #MeToo est un mouvement pluri-dimensionnel, il est aussi et avant tout politique. Faire tomber le "méchant" ne renverse pas un système dysfonctionnel persistant (de nombreuses femmes qui ont témoigné contre Ailes ont d'ailleurs été blacklistées dans d'autres entreprises). Et cette histoire, comme ses personnages, aurait largement mérité d'être recontextualisée, nuancée et approfondie.

Au lieu de cela, Scandale fabrique une fable mystifiant le féminisme blanc, romance une sororité fictive et glamourise des femmes qui ont contribué à abîmer durablement la démocratie américaine. Cela se prétend inspirant et beau, mais c'est surtout faux.

Scandale

Sortie le 22 janvier 2020
Un film de Jay Roach

Avec Charlize Theron, Nicole Kidman, Margot Robbie...

Mots clés
cinéma Culture feminisme #MeToo News essentielles
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