Le 17 septembre, on a retrouvé Otis (Asa Butterfield), Maeve (Emma Mackey), Eric (Ncuti Gatwa), Ola (Patricia Allison) et les autres. La joyeuse bande du lycée de Moordale, accro au cul et aux cours d'éducation sexuelles données sous le manteau par un duo charismatique, est revenue pour un troisième chapitre à ses aventures jouissives - mais pas que. La force de Sex Education, bijou de Netflix qui a conquis nos coeurs début 2019, est justement de partir d'un synopsis loufoque autour d'ados en rut pour en faire une référence aussi pop qu'engagée et déconstruite.
Au fil des épisodes derniers, le show traitait l'asexualité, le vaginisme, l'injonction à la performance, la tabouïsation du plaisir féminin. Aujourd'hui, et ce tout en prenant le temps de développer chaque trame, il tacle le white feminism, intègre la non-binarité au centre de l'intrigue, donne encore davantage de place au personnage d'Eric Effiong comme à l'exploration de sa sexualité jusque dans le pays d'origine de ses parents, le Nigéria.
Et puis, Sex Education épingle la stigmatisation réservée aux femmes qui vivent une grossesse dite tardive. Un angle peu abordé - dans la fiction comme dans les médias - qui mérite de s'y intéresser plus en détails. Attention, spoilers.
D'abord, remise en contexte. A la fin de la saison 2, on laissait Dre Jean Milburn (Gillian Anderson), la mère d'Otis, un test de grossesse positif dans les mains après une rupture avec son partenaire, Jakob Nyman (Mikael Persbrandt), accessoirement père d'Ola, elle-même ex-petite amie d'Otis (oui, c'est compliqué, mais ça rend les dialogues d'autant plus savoureux).
Au début de la saison 3, Jean est enceinte de 6 ou 7 mois et encore séparée de Jakob à qui elle n'a toujours pas annoncé l'"heureux" événement. Elle a décidé de le garder, mais n'arrive pas à se résoudre à lui partager l'info. Soit. Le pot-aux-roses est vite découvert, tant mieux, ce n'est pas cet aspect de sa grossesse qui vaut le coup qu'on s'y attarde.
Non, et c'est ce que les auteurs et autrices de la série ont parfaitement compris : plutôt que de raconter des vécus ordinaires dénués de messages, ils se servent des péripéties de leurs protagonistes pour dresser un bilan peu reluisant de la société occidentale telle qu'elle est au-delà de l'écran, et offrir des punchlines explosives à qui s'identifie et n'a jamais osé répliquer dans des situations similaires.
Typiquement, tout au long des huit épisodes, Jean Milburn est confrontée à des commentaires désobligeants, émanant du corps médical ou de connaissances, sur son âge et son état. A 48 ans, alors qu'elle est en pleine possession de ses moyens et de prendre des décisions sans qu'on ait besoin de l'infantiliser, elle est constamment ramenée à sa grossesse "gériatrique" (puisqu'en 2021, c'est encore son nom). Mais aussi aux risques que cela implique, pour elle et pour l'enfant, comme si être enceinte passé 40 ans devenait inévitablement irresponsable et dangereux. Ou plutôt, comme si elle n'y avait pas mûrement réfléchi.
Au radiologue qui réalise sa dernière échographie, et ne se prive pas de lui dire que, selon lui, "il est facile d'oublier qu'être parent sur le tard peut affecter la vie de vos enfants", elle rétorque, royale : "Vous avez des enfants, docteur ? Pensez-vous qu'avoir un gros con pour affecte aussi leur vie ?". A garder en tête pour les concernées.
Mais d'où vient cette idée d'ailleurs, qu'après la quarantaine, une femme qui parvient à tomber enceinte est anormale et à montrer du doigt ? Du mythe de la "date de péremption" située à 35 ans pour les personnes dotées d'un utérus, lui-même basé sur une étude vieille de 300 ans, révèle Libération. Une pression à la grossesse jeune sous menace d'une "horloge biologique qui tourne" qui a réussi à s'immiscer dans les esprits jusqu'à provoquer des conséquences néfastes sur la conception.
Pourtant "à 35 ans, ce n'est pas du tout fini", affirme au journal la gynécologue Clémence Roche. "Ça peut devenir plus compliqué à partir de 38 ans. Les taux de fausses couches augmentent à cet âge-là", reconnaît-elle. Mais absolument rien d'impossible.
Dans une étude datant de 2013, intitulée Fertilité et stérilité et menée par le Dr Kenneth Rothmann, il est même démontré que lorsqu'elles ont des rapports deux fois par semaine, 78 % des femmes âgées entre 35 et 40 ans sont enceintes dans l'année, contre 84 % de femmes âgées de 20 à 34 ans. Ce qui n'empêche pas certaines de consulter la spécialiste "dans des situations de stress terribles avant même d'avoir essayé de faire un enfant".
Sur son blog, l'autrice féministe Fiona Schmidt analyse : "Médicalement, la stigmatisation systématique de ces femmes qui 's'y prennent tard' n'est donc pas aussi justifiée qu'on le lit et qu'on l'entend partout. Mais elle est surtout particulièrement injuste socialement. En effet, on continue d'imposer aux femmes les mêmes normes procréatives en terme d'âge qu'il y a quarante ans, alors que la société a radicalement changé".
"Si l'âge de la première grossesse ne cesse de reculer (...), ce n'est pas parce qu'elles sont plus féministes égoïstes et inconscientes qu'avant. c'est parce que le couple hétéro reste la norme en matière de parentalité, que les mariages sont plus en plus tardifs et les divorces de plus en plus rapides, et que l'on attend des femmes qu'elles soient autonomes financièrement, sur un marché de l'emploi incertain qui valorise la flexibilité qui elle-même génère la précarité."
La conclusion ? Pour Fiona Schmidt comme pour les plumes de Sex Education, et un bon paquet d'entre nous, elle est limpide : une fois encore, il y a urgence à foutre la paix aux femmes. Et à passer le mot sur le petit écran comme dans la vie.