Vous vous sentez patraque ? Faites attention, il se pourrait bien que votre utérus soit en train de se payer une petite balade dans votre corps. Dingue, non ? Oui, et surtout absolument faux. Ce mythe remonte à la Grèce antique, à une époque où les médecins et physiciens n'y comprenaient pas grand-chose à l'anatomie féminine. Alors ils se mirent en tête que les organes reproducteurs étaient forcément suspicieux et qu'ils pouvaient causer chez la femme des vertiges, des maux de tête, des crises pseudo-épileptiques, mais aussi une perte de la parole et de la sensibilité, et pourquoi pas une mort soudaine. Bref, le mythe de "l'utérus errant" est étroitement lié à la fameuse hystérie (utérus en grec, ça ne s'invente pas) que l'on prit très au sérieux pendant plusieurs siècles.
Avez-vous déjà entendu parler de Pline l'Ancien ? Cet écrivain et naturaliste romain est notamment l'auteur d'une monumentale encyclopédie en 37 volumes intitulée Histoire Naturelle. Dans le livre 7, ce bon vieux Pline explique notamment qu'on ne "trouvera rien qui soit aussi malfaisant que le sang menstruel". Selon lui, une femme qui a ses règles "fait aigrir le vin doux par son approche", "frappe de stérilité les céréales" et "brûle les plants des jardins et les fruits de l'arbre". Il ajoute que le regard de la pauvre femme "ternit le poli des miroirs" et qu'un chien qui se risquerait à goûter du sang menstruel "deviendrait enrager et inoculerait un poison que rien ne peut guérir" à la personne qu'il mordrait. Mort près de Pompéi lors de l'éruption du Vésuve, Pline l'Ancien a malheureusement été entendu par d'autres hommes. Au XIIIe siècle, un manuel médical clamait ainsi que "les fumées" qui se dégageaient du corps de la femme pendant ses menstruations pouvaient "empoisonner les yeux de l'enfant qui se reposait dans son berceau".
Ce mythe autour des règles a perduré durant de nombreuses décennies. Dans les années 40, certains médecins étaient encore persuadés que les femmes libéraient du poison en même temps que le sang. Ils avaient même donné un nom à ce produit chimique capable de faire flétrir les fleurs et de rendre malade n'importe qui : le menotoxin. On le sait aujourd'hui, le menotoxin n'a jamais existé et vous pouvez donc dormir tranquille : vos règles ne viendront pas à bout de la plante grasse qui s'alanguit dans votre salon. Notons tout de même que dans certains pays comme le Népal, les femmes sont encore obligées de s'isoler pendant toute la période de leur menstruation, leur sang étant considéré comme impure. Ouep, il y a encore du travail à faire.
Au XIXe siècle, le statut de la femme est encore largement inférieur à celui de l'homme. Et pour que les choses restent comme elles sont, ces messieurs redoublent d'imagination. Ainsi, le Dr Edward Clarke, professeur à la prestigieuse Université d'Harvard, invente une folle théorie en 1873 : lorsque les femmes lisent – et donc s'instruisent – le sang qui se trouve dans l'utérus s'échappe pour remonter dans le cerveau. Pendant que l'esprit de la femme s'épanouit, les organes reproducteurs eux, s'atrophient. Et ce n'est pas fini. Selon ce bon docteur, à force de lire et d'apprendre des choses, les femmes finiraient par se transformer en d'ignobles créatures aux "cerveaux gonflés et aux corps chétifs". Bien évidemment, les hommes ne risquaient rien. CQFD.
Dans la Grèce antique (oui, encore elle), un homme s'éleva contre la théorie de "l'utérus errant". Cet homme, c'était le médecin Claude Galien. Selon lui, si les femmes étaient touchées par l'hystérie, c'est parce qu'elles retenaient leur "semence sexuelle". Cette chasteté excessive pouvait alors entraîner un refroidissement du corps, un empoisonnement du sang, et une irritation des nerfs qui pouvait mener à l'hystérie. On peut reprocher à Claude Galien cette théorie complètement farfelue, mais notons tout de même que l'homme fait partie des premiers à avoir affirmé que l'hystérie pouvait toucher aussi bien les femmes que les hommes puisqu'elle ne venait pas de l'utérus mais de la semence. Merci Claude.
En août 2012, l'élu républicain américain Todd Akin déclarait très sûr de lui : "La grossesse après un viol est très rare (...). S'il s'agit d'un véritable viol, le corps féminin a des moyens d'empêcher la fécondation". Des propos choquants qui ont suscité la colère de bon nombre d'Américains, Barack Obama en tête, mais qui n'ont malheureusement pas fait sourciller les habitants des États-Unis les plus conservateurs. Et pour cause, ce mythe remonte très loin (dès le XIIIe siècle en Grande-Bretagne) et semble connecté à une autre croyance : une femme ne peut pas concevoir lorsqu'elle n'a pas d'orgasme.
Bien que la science - et tout un tas d'ignobles faits divers- aient prouvé par A+B qu'un enfant pouvait naître d'un viol, cette conviction demeure. Le New York Times note ainsi que Todd Akin n'est pas le premier homme politique à avoir tenu des propos de ce genre. En 1998, le candidat au Sénat Fay Boozman avait affirmé publiquement que les hormones générées par la peur au moment d'un viol empêchaient la femme de tomber enceinte. Les républicains Henry Aldridge et Stephen Freind ont également tenu des propos similaires, le dernier allant jusqu'à dire : "Les chances qu'une femme violée tombe enceinte sont le l'ordre d'un sur des millions et des millions et des millions".