Rha, votre cou vous tiraille depuis quelques jours. Enfin, votre cou, si vous y réfléchissez bien, ça vous tire de la tempe jusqu'au bout des doigts. Une crise cardiaque ? Un cancer de l'oreille ? Ahhh, vous vous sentez faible et, dans un dernier effort, parvenez à pianoter sur votre spartphone, en tremblant : "mal oeil cou épaule bras" avant de voir, le souffle court, apparaître les propositions catastrophées de Google "infarctus, tumeur, mort", et de défaillir avant même d'avoir pu lire les debriefs abominables de vos compagnons d'infortune sur Doctissimo. Boum.
Particulièrement répandu chez le sexe ancestralement dit "fort" (les hommes), ce type de comportement hypocondriaque, absolument insupportable pour l'entourage, est pourtant très fréquent. Un nez qui coule ? Un thermomètre qui explose un 37,7°C et c'est branle-bas de combat à la maison, transformée en hôpital de guerre. Chut, le patient DOIT se reposer, il est malade et sent peu à peu ses forces le quitter. Sous la couette, gémissant, réclamant aspirines, potages et surveillance extrême de son état préoccupant, il finit par sombrer dans un sommeil réparateur qui laissera ses proches soulagés (grrr).
"Allô, docteur ? Oui, non, pas grand-chose mais un petit check-up s'impose, non ? Deux mois sans voir son dermato/ophtalmo/othorino/ostéo/ rhumato/radiologue/cardiologue ça ne me semble PAS TRÈS RAISONNABLE !" Hantise du corps médical, l'hypocondriaque accro aux check-up occupe les lignes téléphoniques et inonde les boîtes mails des professionnels en blouse blanche à la moindre "alerte" ("Au secouuuurs, mon oeil se voile, JE SUIS AVEUUUGLE !"). Et creuse le trou de la Sécu, rappelons-le.
"Tu devrais peut-être voir un médecin / faire des analyses / une radio / une écho / une mammo". Prononcez cette phrase devant un hypocondriacophobique du docteur et vous le verrez blêmir, voire suffoquer à l'évocation de ces expériences aussi stressantes que synonymes, pour lui, de fin de vie assurée et immédiate. Non, cet hypocondriaque-là préfère mourir seul dans son lit plutôt que de se faire charcuter par ces donneurs de mort. D'ailleurs, il va s'y planquer illico, vous l'avez rendu malade (pour de vrai).
Bien qu'évitant le plus souvent tout récit de maladie, l'hypocondriaque a emmagasiné dans son disque dur toutes les anecdotes les plus sinistres et alarmistes qui lui sont malgré tout parvenu depuis la petite enfance jusqu'à ces jours que la vie a bien voulu lui octroyer. Depuis, au moindre symptôme suspect, son système interne fait le parallèle avec l'histoire de cet homme foudroyé en deux jours par un mal incurable, dont il a lu le récit dans Closer. Et fait la conclusion qui s'impose.
Et plutôt trois fois qu'une, en prenant un plaisir malsain à focuser sur la merveilleuse section "effets indésirables" du produit. Gonflements, maux de ventre, allergie cutanée, tachycardie, perte de cheveux, et dans de très rares cas, mort subite. Evidemment, tous ces maux l'assailliront les uns après les autres avant qu'il n'abandonne le traitement, persuadé de son danger plus grand encore que le mal qui le ronge. RIP, hypo.
Anévrisme, AVC, mélanome, myalgie, syndrome de Chron, staphylocoque, cancer du naso-pharynx... L'hypocondriaque 2.0 a passé tant de temps à lire avec effroi les récits atroces de ses compagnons de douleur, puis étudié la peur au ventre les symptômes et remèdes (quand ils existent) de ses maux dramatiques qu'il est plus calé qu'un Vidal. En vrai, il est atteint de cybercondrie, cette maladie née avec Doctissimo. Ne lui dites pas, ça pourrait l'effrayer.
L'hypocondriaque est sournois car, tout en criant à cor et à cri qu'il va mourir, que son cancer imaginaire le ronge et qu'on le laisse décéder sur place parce qu'il n'y a plus grand-chose à faire (d'ailleurs, est-ce qu'on préfère le merisier ou le chêne pour son cercueil, parce qu'il est en train de le commander), au fond de lui, il n'y croit pas vraiment. En revanche, le simple fait d'énoncer ces conclusions alarmistes l'apaisent, tant leur verbalisation et l'absurde de ce tragique déployé semble éloigner un tel diagnostic de la réalité. Ok, mais en attendant qui est-ce qui revit Urgences tous les jours à la maison ?
Oui, à force de stresser comme un malade, de suer sang et eau, de se gaver d'infos sinistres et d'envisager le pire à tout moment, l'hypocondriaque finit par aggraver son "état", se faire des noeuds au ventre, des migraines pas possibles, s'affaiblir pour, finalement, finir par choper tout ce qui passe. Et LÀ, c'est vraiment le drame...