C'est l'affaire sordide qui déclenche une mobilisation sans précédent. Le 23 juin dernier, au Cameroun, une sextape a fait le tour des réseaux sociaux. On y voit une jeune femme, Malicka Bayemi, 24 ans, en plein ébat avec un homme, puis un second, dans les locaux de Radio Sport Info (RSI).
Il n'y a qu'elle que l'on peut identifier clairement. Les deux hommes, que l'on découvrira plus tard être le célèbre journaliste Martin Camus Mimb et un ami commun, Wilfried Eteki, se sont bien gardé de montrer leur visage à la caméra. Et pour cause, d'après Malicka Bayemi, la séquence aurait été tournée, puis diffusée, sans son consentement.
Pire, la jeune femme qui se trouvait "sous l'emprise de l'alcool" et de médicaments aurait même "cédé" aux rapports sexuels devant l'insistance des deux hommes, décrit son avocate Me Dominique Fousse. Elle sortait d'un rendez-vous chez le dentiste pour lequel elle avait été anesthésiée, rapporte Actu Cameroun, et aurait été "attirée dans ce piège" par Wilfried Eteki qui lui aurait promis "un truc hors normes". "Sans savoir qu'elle venait d'ouvrir la porte de l'enfer", lâche la magistrate.
Malicka Bayemi est aujourd'hui "très affectée par le fait que son image ait été étalée à travers le monde. Son image est complètement brisée", déplore Me Fousse. "Sa famille a décidé de la faire suivre par un psychologue. Le suivi a commencé", ajoute-t-elle.
Dès la vidéo postée, la victime a porté plainte. Et rapidement, les soutiens se sont déclarés, créant une véritable vague de dénonciation des violences sexuelles et sexistes dans le pays. En 2016, le Fonds des Nations unies pour la population estimait par ailleurs à plus d'un tiers le nombre de femmes camerounaises à avoir subi des cas de viol ou d'agression sexuelle dans leur vie.
A l'AFP, la militante féministe Minou Chrys-Tayl, l'une des figures de ce mouvement émergent qui appelle les Camerounaises concernées à rompre un silence ravageur, décrypte : "Le problème des violences sexuelles est extrêmement fort car il y a un problème de non-reconnaissance de l'humanité des femmes". Même son de cloche chez Marie Thérèse Abena Ondoua, ministre de la Promotion de la femme et de la famille, qui s'indigne contre les "actes abominables et malsains qui font de la jeune femme un objet et un objet sexuel sans valeur".
L'activiste l'affirme, le harcèlement sexuel est un "fléau que nous retrouvons à la tête de nos institutions, dans les petits bureaux, dans les maisons avec les employées de maison".
"En tant que femme entrepreneure, je suis confrontée au quotidien, non pas au harcèlement sexuel, mais au chantage sexuel. Lorsque je suis allée dans certaines entreprises déposer un dossier marketing pour solliciter un accompagnement, une publicité par exemple, il est arrivé, à plusieurs reprises, qu'on me dise :'Si tu me donnes la chose là (sexe), ça va aller facilement'", illustre de son côté la journaliste Valgadine Tonga.
Et pour les auteurs de ces crimes et délits, l'impunité semble acquise. "Nous vivons dans une société où les bourreaux ne sont jamais attaqués, ni par la société ni par la justice", atteste à l'agence de presse l'écrivain Félix Mbetbo, auteur du livre Coupez-leur le zizi, qui recueille les témoignages de victimes d'agressions sexuelles.
Ce constat glaçant, un journaliste du Temps dépêché sur place, le met également en lumière. Il parle lui d'un "#MeToo camerounais" en réponse à cet énième événement humiliant, et d'une partie émergée de l'iceberg. "Il y aurait bien d'autres sextapes, tout un réseau même dont seraient membres, aux côtés de Martin Camus Mimb, des dizaines de politiciens, de ministres, de préfets, de sportifs et de riches hommes d'affaires", rapporte-t-il encore.
A ce sujet, le journaliste sportif mis en cause, qui a d'abord nié les faits et crié au complot, a eu vite fait de présenter des excuses publiques. "Permettez-moi de m'adresser à la victime que j'imagine durement éprouvée. Malicka, toi dont la dignité et l'honneur ont été bafoués, je te demande pardon."
Aujourd'hui, si Me Dominique Fousse, l'avocate de la plaignante, dénonce que l'affaire ait été "bloquée par le parquet", la libération de la parole, elle aura du mal à être étouffée. Tant mieux.