"Chaque fois que je sors, il y a quelqu'un qui me harcèle ou qui harcèle une autre femme dans la rue. N'avez-vous pas honte ? Nous avons un problème de harcèlement dans ce pays, et j'en ai marre !" Ces mots pleins d'une colère palpable et légitime viennent de la blogueuse et mannequin Ascia Al Faraj.
Dans une vidéo publiée sur son compte Instagram, qui cumule 2,6 millions d'abonné·e·s, elle explose, et raconte comment un véhicule a accéléré pour "l'effrayer" alors qu'elle se dirigeait vers sa voiture. Un événement qui déclenchera un mouvement sans précédent de libération de la parole, le pays ayant été jusque-là peu touché par #MeToo.
Plus tard, la jeune femme tweete : "Nous pouvons tous faire plus pour prévenir le harcèlement des femmes, que ce soit aux Etats-Unis ou au Koweït". Une phrase accompagnée du hashtag #Lan_asket, "je ne me tairai pas", en français. Une expression qui dit tout du silence imposer aux Koweïtiennes dans ce pays du Golfe au régime conservateur. Et qui deviendra le symbole d'une lutte féministe bouillonnante.
Quelques jours après le post, Shayma Shamo, une médecin de 27 ans qui a étudié à l'étranger avant de revenir au Koweït en 2020, décide d'apporter un soutien nécessaire. Elle crée sur Instagram la page du même nom, Lan Asket, où nombreuses internautes témoignent de faits similaires. Elles confient être traquées, harcelées ou agressées. Et ce, sans réelle action de la part des autorités pour les protéger, ni condamner les agresseurs.
"Dès que j'ai ouvert le compte, les messages ont commencé à affluer, venant de femmes et jeunes filles qui ont subi harcèlement verbal, physique et sexuel", raconte-t-elle à l'AFP. "Le silence n'est plus une option. Nous devons nous exprimer, nous unir et nous défendre les unes les autres parce que ce qui se passe est inacceptable". Au Koweït pourtant, une loi contre le harcèlement existe bel et bien, mais un tabou coriace perdure autour des violences sexistes.
"Il n'y a rien de substantiel pour protéger les victimes", déplore Ascia Al Faraj. "Actuellement, filmer des cas d'abus pour fournir des preuves dans votre affaire retourne la loi contre *vous* pour avoir filmé sans permission. Il s'agit d'une négligence soutenue par l'État et nous demandons que des mesures soient prises".
Au niveau national, la conversation est lancée. L'ambassade américaine apporte même son soutien. Sur les plateaux de télévision et de radios, militantes, avocates, universitaires sont invitées pour aborder la question du harcèlement, et plus généralement de l'insécurité à laquelle sont confrontées les femmes qui vivent dans le pays.
Une insécurité directement lié à un sexisme systémique, dénonce Shayma Shamo, et à la façon dont la société culpabilise les victimes. "Dès qu'une femme commence à parler de harcèlement, les questions des membres de la famille commencent : Que portais-tu ? Avec qui étais-tu ? Quelle heure était-il ?" La preuve, des voix conservatrices se sont élevées en ce sens, demandant aux femmes de s'habiller pudiquement si elles voulaient éviter ce genre de situations, rapporte l'agence de presse.
Au-delà des Koweïtiennes, interpelle encore Ascia Al Faraj dans une deuxième vidéo, il y a les immigrées indiennes, pakistanaises et philippines qui travaillent souvent dans des conditions déplorables. "Les expatriées ici sont incroyablement vulnérables et harcelées à un niveau que les femmes koweïtiennes ne pourront jamais imaginer", condamne la blogueuse. Des faits terribles que relatent aussi les ONG, dont Human Right Watch, qui salue le courage des Koweïtiennes et insiste sur l'importance de parler.
"Les filles ne parlent pas par peur d'être stigmatisées", détaille Lulu Al-Aslawi, présentatrice télé qui a confié avoir elle aussi été intimidée suite à des photos de mode postées sur les réseaux sociaux. "Mais nous n'arrêterons pas tant que nous n'aurons pas vaincu ce cancer de la société". Un engagement puissant à l'aube, on l'espère, de changements émancipateurs.