Société
Je ne veux pas allaiter et ça ne fait pas de moi une mère indigne
Publié le 31 mai 2019 à 17:56
Par Pauline Machado | Journaliste
Pauline s’empare aussi bien de sujets lifestyle, sexo et société, qu’elle remanie et décrypte avec un angle féministe, y injectant le savoir d’expert·e·s et le témoignage de voix concernées. Elle écrit depuis bientôt trois ans pour Terrafemina.
Allaiter ou ne pas allaiter ? La question devrait rester le choix de l'intéressée et demeurer libre de toute forme de jugement. Malheureusement, dans une société où les femmes subissent des injonctions quotidiennes, on catégorise vite celles qui optent pour le biberon.
Je ne veux pas allaiter et les injonctions me mènent la vie dure Je ne veux pas allaiter et les injonctions me mènent la vie dure© Adobe Stock
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Quand on tombe enceinte et qu'on l'annonce autour de soi, il y a plusieurs étapes dans la réaction de nos proches : l'étonnement, quelques fois, la joie, souvent, et la curiosité, toujours. Les trois sont naturels, d'autant plus quand on est la première d'un cercle d'ami·es à se lancer dans l'aventure couches-petits pots-vergetures.

Les questions fusent dans la bouche de notre entourage en même temps qu'elles se précipitent dans notre tête. La plupart soulèvent des sujets auxquels on n'a pas réfléchi nous-même, alors on saisit l'occasion pour les étudier. Une sorte de brainstorming géant où chacune (je n'ai eu d'exemple que des femmes) y va de son envie et de ses connaissances perso pour tenter de nous y faire voir plus clair. Ce qui s'avère fréquemment très efficace et bienveillant.

Seulement dans certains cas de personnes plus éloignées - et j'ai comme l'impression qu'à 4 mois de grossesse, je ne suis pas au bout de mes peines concernant les jugements gratuits -, les conseils frisent la culpabilisation. Particulièrement lorsque notre point de vue ne convient pas aux attentes des interlocutrices.

Je m'explique.

J'attends mon premier enfant et j'ai décidé de ne pas l'allaiter. Je n'ai jamais eu de fascination pour ce lien nourricier mère-enfant. Je respecte bien sûr le droit d'une maman de donner le sein en public (je ne suis pas un tyran) et je me battrai évidemment pour qu'elle le fasse, mais très peu pour moi. La dépendance que cela crée dans un sens comme dans l'autre m'angoisse, la douleur aussi.

Surtout, je souhaite que mon partenaire puisse vivre ces moments-là avec moi. Que lui aussi puisse serrer notre bébé contre son torse pendant qu'il lui donne le biberon les premières semaines alors qu'il ou elle ouvrira à peine les yeux, et qu'on ait la possibilité de partager nos nuits sereinement avec une égalité qui m'est chère.

J'ai pesé les avantages et les inconvénients, j'ai fait mon choix et il n'est pas irresponsable. Beaucoup de mères ne donnent pas le sein et leurs enfants sont en pleine forme. En France, l'eau et les produits de substitution sont adaptés aux nourrissons.

Pourtant, j'ai toujours le sentiment d'avoir besoin de me justifier alors que mon enfant n'est même pas encore né·e. Voire de me battre contre l'avis de quelqu'un qui n'a certainement pas à me le donner.

"Comme si notre corps ne relevait plus de notre vie privée"

Un jour, alors que je terminais une conversation téléphonique avec une amie sur le sujet, le chauffeur au volant du taxi que j'empruntais a jugé bon de me dire "C'est génial vous êtes enceinte ! En revanche, mademoiselle, il faut absolument allaiter. C'est pas très grave si ça fait mal ou que ça vous gêne".

Mon hallucination ayant pris le pas sur mon réflexe de lui rappeler qu'on avait pas élevé les cochons ensemble, et qu'il n'avait absolument pas à me dire ce que je devais faire (surtout d'un point de vue masculin), je suis sortie de la voiture sans un mot. Mais la violence de l'intrusion m'a marquée.

Elle m'a fait réaliser que dès qu'on tombe enceinte, c'est un peu comme si notre corps et nos décisions ne relevaient plus de notre vie privée. Comme si ils étaient passés dans le domaine public, que tout le monde avait le droit de nous dicter la "bonne conduite" à avoir. Les choses à faire et à ne pas faire, souvent sans expérience ni légitimité de leur côté.

Un peu comme si celle qui choisit de ne pas allaiter ne se souciait pas d'offrir le meilleur à son bébé. Ne l'aimait pas assez pour supporter ses tétons en feu et crevassés, et pensait davantage à son confort qu'à la santé de sa progéniture.

De la même façon qu'on dit aux femmes qu'elles doivent s'habiller de telle ou telle manière pour être vues comme des "filles bien" et surtout pas des "filles faciles" (qui, soit dit en passant, sont simplement maîtresses de leur sexualité), on leur fait subir des injonctions sociales qui détermineront leur valeur en tant que mère. Une bonne mère ne reprend pas tout de suite le travail, une bonne mère se sacrifie pour ses enfants, une bonne mère allaite six mois, une bonne mère fait des gâteaux à la farine bio.

Même dans la façon dont les choses sont amenées, on sent que la curiosité a parfois des airs de pression. On se permet de demander "Pourquoi ?" à une femme qui vient d'annoncer que non, elle ne nourrira pas son nouveau-né au sein. Mais poserait-on la même question si elle avait répondu par l'affirmative ?

Alors j'entends, le choix le plus courant étant de donner le sein, ça semble logique de s'étonner de cette petite "rébellion maternelle", comme on la décrit parfois. Seulement il s'agit d'une décision personnelle qui doit être respectée, que seule la principale intéressée peut prendre.

Une bonne mère en fin de compte, c'est peut-être simplement une femme qui fait de son mieux en sachant que l'aventure n'est pas facile tous les jours, une femme qui veut surtout entourer son bébé d'un cocon de tendresse et de sécurité. Qui allaite ou qui donne le biberon dès l'accouchement, et qui sait surtout se fier à son instinct.

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