La parole se libère sur les plateaux de télévision, et visiblement, l'écoute aussi. Après le documentaire coup de poing de la journaliste sportive Marie Portolano, Je ne suis pas une salope, je suis une journaliste, et les nombreux cas de sexisme au sein des rédactions dont il fait état (dénonçant particulièrement les violences perpétrées par Pierre Ménès), ce sont d'autres consoeurs qui témoignent de vécus similaires.
Ce lundi 22 mars, sur le plateau de C à Vous sur France 5, la journaliste et présentatrice Anne-Laure Bonnet a ainsi raconté plusieurs anecdotes glaçantes, et des propos intolérables auxquels elle a été confrontée ces dernières années (dont elle exclut toutefois la jeune génération). "Moi, j'ai vécu un directeur de la rédaction qui a envoyé un texto à un de mes collègues pendant une émission, comme si on envoyait un texto à Patrick Cohen, en disant : 'Tu vas passer un bon moment parce que t'as vu le décolleté d'Anne-Laure !'", s'indigne-t-elle, précisant n'avoir reçu aucun soutien de sa direction après l'en avoir alertée.
A l'époque, on lui dit que c'est une blague. Elle tacle en direct : "Mais ce n'est pas drôle en fait ! Parce qu'au bout d'un moment, ça arrive une fois, ça arrive deux fois, ça arrive trois fois, et vous savez que la personne qui est en charge de ce que vous êtes en train de faire, votre directeur de la rédaction, il vous voit comme la 'gonzesse'. La gonzesse à qui on demande de mettre des décolletés, la gonzesse à qui on demande de maigrir."
Elle poursuit : "Ça m'est arrivé quand je travaillais sur TF1, sur la F1, on m'avait dit : 'Si tu ne maigris pas, on t'enlève de l'antenne'. Ok, d'accord, je parle cinq langues sinon, ce n'est pas utile sur la Formule 1 ! Ben non, il vaut mieux être un peu plus jolie, un peu plus souriante et un peu plus sympa avec la direction", déplore la journaliste.
Au-delà du lieu de travail, il y a aussi les événements auxiliaires. Les shootings pour les magazines, notamment. Dans le documentaire de Marie Portolano, plusieurs intervenantes s'attardent sur une séance photo réalisée pour Paris Match en 2016, censée mettre à l'honneur ces femmes journalistes sportives. Sur place pourtant, elles doivent enfiler robes longues et talons hauts. Un attirail ultra-glamour qui attire l'oeil sur le corps plutôt que la fonction et les compétences.
Anne-Laure Bonnet s'en rappelle douloureusement : "C'est un souvenir absolument atroce... C'est-à-dire que je suis arrivée dans ce van où on était sensées se changer, et j'avais précisé à l'attachée de presse : 'Je ne porte pas de robe'. Il faisait froid, il pleuvait, et on m'a présenté une petite robe à bretelles, et j'ai fondu en larmes."
Il s'agit de son "pire souvenir de séance photo", affirme-t-elle. "Il faisait un froid de loup". Anne-Elisabeth Lemoine devine : "Il n'était pas question de ne pas porter de robe...". "De toute façon c'était pas possible", répond l'invitée. "L'attachée de presse a dit : 'On est désolés, c'est l'idée.'" Une phrase qui la marque, tant elle traduit l'objectification dont elle et ses semblables sont constamment victimes. "On n'est pas des journalistes, on est des trucs sur qui on met une robe et voilà." Un récit qui en dit long sur l'industrie médiatique, et qui, malheureusement, n'étonne que très peu les concernées.