Pour nombre de salariés, l'essor des nouvelles technologies a rendu difficile de maintenir une frontière nette entre vie professionnelle et vie privée. Se sentant obligés d'être disponibles à tout moment et n'importe où pour répondre à leur charge importante de travail ou pour donner une chance à leur évolution de carrière, nombreux sont les cadres et les employés qui n'hésitent pas à consulter leur boîte mail professionnelle une fois leurs enfants couchés ou à embarquer chez eux le week-end un dossier urgent à traiter.
Selon une étude menée en 2014 par la CGT en faveur d'un "droit à la déconnexion" , 39% des actifs utilisent sur leur temps personnel les nouvelles technologies pour le travail. 75% d'entre eux sont cadres. 45% des techniciens constatent quant à eux un débordement de leur vie professionnelle sur leur vie privée. Enfin, 27% des cadres affirment travailler durant leurs congés.
Le nom de ce phénomène ? Le blurring, de "blur", "flou" en anglais qui a un réel impact sur notre santé. Troubles cardiovasculaires, musculo-squelettiques, gastro-intestinaux, troubles psychologiques... Autant de pathologies liées au travail en dehors des heures de bureau mises en lumière par une étude parue en septembre 2014 dans la revue médicale Chronobiology International .
Le burn-out, ou épuisement professionnel, peut aussi être une conséquence directe de cette incapacité des salariés français à établir une coupure nette entre leurs obligations professionnelles et leur vie privée.
C'est justement pour préserver la santé des salariés qu'un droit à la déconnexion pourrait faire son apparition dans la nouvelle mouture du code du Travail. Dans un rapport sur le numérique au travail remis en septembre à la ministre du Travail Myriam El Khomri, le directeur général adjoint d'Orange Bruno Mettling demande à ce que soit instauré pour les salariés un "droit à la déconnexion". Figurant dans l'avant-projet de la loi Travail qui sera présenté le 9 mars en Conseil des ministres, il donnera le droit aux salariés de ne pas répondre à ses e-mails professionnels lorsque ces derniers sont lus et réceptionnés en dehors de ses horaires de travail.
La mesure, qui devrait être discutée au cas par cas dans chaque entreprise à partir du 1er juillet 2017, lui permettra en outre de bénéficier d'une réelle protection juridique en cas de litige avec son employeur.
Pour Bruno Mettling, l'impossible déconnexion est "un sujet qui ne se pose pas seulement en France mais aussi dans de nombreux pays". Invité en septembre 2015 sur Europe 1 , le spécialiste en ressources humaines faisait part de la grande tentation pour les salariés de rester connecté, même s'il n'existe aucune obligation. "Et c'est pour cela qu'il faut clarifier sans ambigüité ce dossier", expliquait-il. "Les excès de connexion conduisent à des situations de burn-out" tandis que "les salariés qui trouvent un équilibre entre la vie privée et la vie professionnelle sont dans leur activité professionnelle beaucoup plus performants, beaucoup plus pertinents que ceux qui arrivent épuisés".
Reste à savoir quelles seront les modalités de ce droit à la déconnexion. D'après le projet de loi que s'est procuré Le Parisien , il sera négocié annuellement dans l'ensemble des sociétés qui devront engager des discussions sur "les modalités d'exercice par le salarié de son droit à la déconnexion dans l'utilisation des outils numériques en vue d'assurer le respect des temps de repos et de congés."
La trêve de onze heures minimum entre deux journées de travail devrait donc s'appliquer aux e-mails et aux appels professionnels, précise le site NextImpact , qui liste plusieurs pistes d'application : "blocage des messages durant certaines plages horaires, engagements mutuels de la part des salariés et de leurs supérieurs, etc.". À défaut d'accord collectif, il reviendra à l'employeur de définir seul les modalités et de les communiquer aux salariés.
Quant aux sociétés de plus de trois cent salariés, elles devront élaborer une charte de déconnexion "après avis du comité d'entreprise ou à défaut, des délégués du personnel, qui prévoit notamment la mise en oeuvre d'actions de formation et de sensibilisation des salariés à l'usage des outils numériques à destination des salariés et du personnel d'encadrement et de direction".