Wolcano est une ensorceleuse, une vraie - avec chapeau pointu, chaudron bouillant, magie et tout le bazar. Mais on la dit "sorcière du cul", car son appétit sexuel semble sans limites. Et c'est d'ailleurs avec irrévérence qu'elle revendique son droit à éprouver (et offrir) autant de plaisir qu'elle le souhaite. Cette singularité la fait passer pour une infréquentable : on dit d'elle qu'elle est "la sorcière complètement freak de Whitetown" ! Et bientôt, ce sont les grands mages eux-mêmes qui, sous ce prétexte, menacent de lui retirer son statut de sorcière. Wolcano entreprend dès lors de se défendre face à ces décideurs, direction le Grand Palais. L'aventure commence...
Artiste gender fluid, Shyle Zalewski est un·e artiste français·e insaisissable, qui compose aussi bien du punk-folk (avec son groupe Edam Edam) que des bandes dessinées pleines de drôlerie, de couleurs et de chair. Et sa nouvelle bédé ne déroge pas à la règle : Wolcano, la sorcière du cul est une fable pleine de dragons, de démons et de sorcières, dynamitée à grands coups de grivoiseries féministes. C'est une épopée drôle comme un épisode des Simpson, dont les esquisses faussement enfantines dévoilent une insolence pleine de sensualité et de mauvais esprit.
Un OVNI donc, qui ne doit pas échapper à vos mains curieuses. Et voici pourquoi.
"J'aime beaucoup votre magie du cul. Combien de gens avez-vous dû baiser pour arriver à ce niveau ? - Mmh... Si je me suis déjà auto-baisée moi-même, je dois le compter ?". Décrit comme un livre empli "de charpentes, de sociologie pour freaks, de dragons et de fesses", Wolcano porte aux nues l'humour le plus absurde et corrosif, dans la droite lignée de séries animées comme Adventure Time ou Rick & Morty. On y trouve ainsi des loups-requins, un ermite aux devinettes niveau CE2 ou encore un ex coriace et atypique - il est pourvu d'écailles et crache du feu.
Jamais à court de réparties bien senties, son héroïne-titre décontenance par son franc-parler. La magie au bout des doigts, elle n'hésite pas à tacler le mythe du prince charmant, "celui qui pointe son fion uniquement quand la gloire attend derrière". Elle n'a que faire des suzerains, mages, et autres "gros blaires qui assènent leur rigidité comme une loi absolue".
Comment ne pas s'y attacher ?
Celles et ceux qui ont eu l'excellente idée de s'abonner à son compte Twitter ou Instagram le savent bien : le style Zalewski se caractérise notamment par une représentation totalement décomplexée du sexe. Et plus encore, des sexualités. Au fil des cases, positions et jouissances s'enlacent comme autant de bons mots. Des comic-strips pour regards avertis, qui érigent "la chose" en expérience multiple et joyeuse, faite de cette douce incongruité qui s'infiltre parfois dans notre quotidien. Mais avec Wolcano, si le sexe est toujours drôle, il se conscientise aussi.
Car si elle suscite les désirs des villageois, la sorcière fait aussi l'objet des jugements les plus puritains. On "slut-shame" volontiers cette marginale soi disant démoniaque, pourvue d'une magnifique langue de dragon. On la dit "garce", "chaudasse" et autres noms d'oiseaux censés condamner sa lubricité. Des termes que Wolcano se réapproprie avec joie pour en faire une force. "Le cul, c'est mon langage, ma manière de me connecter aux gens. Hors de question que je retourne à une époque où je n'existais pas. ", raconte-t-elle.
Sous ses atours de fantaisie délirante, cet album délivre un discours sex-positive solaire et moins insouciant qu'il n'y paraît.
Qui est Wolcano ? Une reine en son domaine, propice à faire rager les peine-à-jouir, mais pas que. C'est avant tout une ensorceleuse, bien sûr. A l'heure où la sorcière vit son grand revival féministe, Shyle Zalewski célèbre son versant le plus transgressif : elle est l'électron libre qui dérange les esprits chagrins - surtout les mecs - et triomphe des réacs. Comme une sorte de revanche face aux tragiques "chasses aux sorcières" d'antan, l'artiste met à l'honneur une héroïne flamboyante et émancipée, qui se fiche du consensus comme de son dernier plan-cul.
Loin d'être "unilatérale et monochrome", développe l'ouvrage, Wolcano est au contraire "une personne violente, obsédée et bourrée de tocs, irrévérencieuse et vulgaire". A cela, il faudrait encore ajouter un savant mélange de potacherie et de détermination. Une attitude de punk en plein conte de fées ! Et l'occasion pour Shyle Zalewski d'investir avec beaucoup d'autodérision des codes culturels connus de tous : la sorcière a 666 amants et compte bien, en cas de bannissement, auto-éditer ses grimoires. Malicieux.
Chez Shyle Zalewski, la fluidité des genres est le pivot de tout un imaginaire, d'un monde ouvert et riche : celui de l'heroic fantasy. Quoi de mieux que cet univers constitué de démons, entités indistinctes et autres créatures qui se métamorphosent pour éclater les genres et redéfinir les attirances ? Registre fantastique oblige, chacun·e peut dès lors y plaquer ses propres images et fantasmes. Puiser dans le registre de la fiction illimitée et de l'humour cartoon afin de proposer une oeuvre absolument queer ? Il fallait y penser.
Fort de cette allégorie, l'artiste confronte même son intrépide Wolcano aux Dichotomes, à savoir "des créatures binaires pour qui tout doit être tout noir ou tout blanc, et qui n'hésitent pas à cramer ce qui sort de leurs carcans". Ou comment évoquer entre deux pitreries la thématique si essentielle de la non-binarité. Bien vu.
Wolcano, la sorcière du cul, par Shyle Zalewski.
Editions Delcourt, collection Shampooing, 126 p.