Les empreintes légendaires recouvrent le captivant livre de Florent Manelli. Celle de l'artiste Keith Haring (mort du Sida à trente et un ans seulement) et de l'iconique défenseur des droits des personnes homosexuelles Harvey Milk ("Si une balle devait pénétrer mon cerveau, que cette même balle détruise toutes les portes des placards", disait-il avant de mourir assassiné), de Gilbert Baker (à qui l'on doit le fameux drapeau "arc-en-ciel") et d'Edith Windsor - combattante qui toute sa vie durant lutta en faveur de la législation du mariage pour les couples gays aux Etats-Unis. Puis au gré de ces 220 pages abondamment illustrées dédiées aux "40 LGBT+ qui ont changé le monde", ce sont des voix plus mésestimées qui s'énoncent. Parmi elles s'immiscent ces six figures que vous ne connaissez peut-être pas encore et qui, pourtant, méritent largement de sortir de l'ombre.
"Beaucoup de personnes supposent que les musulmans queer ne peuvent pas exister. Moi, j'existe", clame à qui veut l'entendre Blair Imani, femme queer musulmane noire et fière de l'être. Aux Etats-Unis, elle incarne une certaine idée du féminisme intersectionnel, et n'hésite jamais à défrayer la chronique. Comme lorsqu'elle revendique ses droits au sein d'une manifestation pacifiste organisée par le mouvement Black Lives Matter, à Baton Rouge. Créatrice de la plateforme Equality for HER, dédiée aux femmes et aux personnes non-binaires, son combat pour la diversité des genres fait d'elle une figure de proue de la génération Z, selon le magazine Nylon.
Trente printemps, et déjà inspirant. En 2009, le jeune basketteur américain Kye Allums décide de révéler son identité trans au sein de l'université George Washington. Pour ce talentueux athlète, jouer au basket est une activité libératrice : "Il s'agit de respect. Il s'agit de la façon dont vous jouez le jeu, pas du corps dans lequel vous êtes né" déclare-t-il.
A travers sa parole, individuelle, c'est une question collective qui s'énonce : celle des identités LGBTQ au sein d'un univers sportif gorgé de virilités volontiers toxiques. Un enjeu de société qui nous incite à honorer la mémoire de l'Américaine Renée Richards, première femme transgenre à participer à un tournoi de tennis professionnel - et auquel l'auteur Florent Manelli consacre un entier chapitre.
Activiste LGBT, Rosanna Flamer-Caldera porte haut les couleurs d'une culture sri-lankaise inclusive et tolérante. Ancienne co-secrétaire générale de l'ILGA (Association internationale gaie et lesbienne), puis directrice exécutive d'Equal Ground, organisation mixte consacrée aux droits des personnes LGBTI, son engagement oscille depuis des années de la défense des minorités (comme les femmes lesbiennes, bisexuelles et transgenres) à la protection de l'environnement. Ou comment conjuguer les idéaux à l'heure des grands élans écoféministes.
A l'instar du journaliste et activiste Didier Lestrade, Jean Le Bitoux est l'un des grands noms du militantisme LGBTQ hexagonal - un rayon de la bibliothèque du Centre LGBT de Paris porte même son nom. De sa vie mouvementée, l'on retiendra des combats (contre la séropositivité et en l'honneur de la mémoire des déportés homosexuels), de nombreuses manifestations (comme La Marche des Fiertés) et une revue, mythique : Le Gai Pied (cofondée avec Gérard Vappereau en 1979), journal phare et intensément politique.
Cette militance qui s'écrit noir sur blanc, Florent Manelli lui fait également honneur en consacrant une poignée de pages à Xulhaz Mannan, plume majeure de Roopbaan, le premier magazine LGBT+ du Bangladesh. Ou quand l'expression des sexualités et des genres ne fait qu'un avec la liberté de la presse.
Hande Kader, ce sont des images, celles de la Marche des fiertés d'Istanbul qui, en 2015, l'a opposée à la répression policière. C'est également une tragédie : la découverte de son corps, entièrement brûlé, un an plus tard. Inutile de chercher bien loin pour comprendre à quel point cette travailleuse du sexe turque et militante transgenre dérangeait les autorités conservatrices de son pays. La transphobie dont elle faisait l'objet s'est révélée assassine mais sa lutte, elle, est encore vive. Pour The Guardian, son récit est avant tout celui d'une lutte pour les libertés dans un pays où, comme l'énonce Florent Manelli, "le recul des droits LGBT est net depuis 2013".
C'est sur YouTube que les révolutions d'aujourd'hui et de demain se disent - et se visionnent. Adrian de la Vega, 23 ans, le sait bien. Sur sa chaîne personnelle, le vidéaste et comédien français libère les paroles alternatives et évoquent tous les sujets, avec sincérité et pédagogie - le mégenrage, la transidentité, le rapport à soi, à son corps et à ses parents, la question du choix et du genre. Et à en croire ces abonnés - plus de dix mille - la portée de ce qu'il offre aux jeunes générations n'a rien de dérisoire. Pour qui douterait encore de l'importance cathartique d'un tel média, l'on ne saurait trop conseiller le documentaire Coming Out, focus sur ces ados qui, face cam', partagent leur "sortie du placard".
40 LGBT+ qui ont changé le monde, Florent Manelli (Editions Lapin)