On nous l'avait promis : en 2018, Cannes allait opérer sa mue. Après l'électrochoc Weinstein, "le Festival ne sera plus jamais le même", avait averti le délégué général, Thierry Frémaux. Sans que la révolution soit totale (seulement 3 films de réalisatrices en compétition sur 21 sélectionnés), les avancées sont palpables.
Ainsi, pour la première fois, le jury cannois était majoritairement féminin (5 femmes et 4 hommes). Mais surtout, les actrices n'ont pas hésité à bousculer la Croisette et faire parler d'autre chose que de leurs robes. Impériales, parfois provocatrices, elles se sont affichées, ont brandi, revendiqué, asséné. Et les célèbres marches se sont souvent transformées en estrade politique. #MeToo est passé par là. Et ça fait un bien fou.
Cate Blanchett est l'une des figures de proue du mouvement #MeToo. On pouvait donc s'attendre à un discours engagé de l'actrice australienne, présidente du jury, lors de la cérémonie d'ouverture du festival. Cela n'a pas loupé. Son magistral et malicieux "Mesdames... Mesdames, mesdames, mesdames et messieurs, bonsoir" restera dans les mémoires comme une belle allusion à la nécessité d'écouter cette parole des femmes qui se déverrouille et un appel à la parité.
Quand Kristen Stewart a enlevé ses talons
Ce n'est pas un scoop : Kristen Stewart n'a jamais aimé les talons. L'un de ses gimmicks ? Quitter ses objets de torture dès la fin des tapis rouges pour enfiler une bonne vieille paire de Vans. Mais cette fois-ci, l'actrice a fait de son allergie un acte militant. Lors de la première de BlacKkKlansman, la membre du jury a ôté ses Louboutin vertigineux pour fouler les marches pieds nus. Un clin d'oeil culotté à la polémique sur le dress code cannois qui avait frappé la Croisette en 2015.
La rebelle K-Stew avait déclaré au Hollywood Reporter : "Si vous ne demandez pas aux hommes de porter des talons et une robe, vous ne pouvez pas me le demander non plus." Elle a joint le geste à la parole.
Son film, l'histoire d'amour solaire entre deux jeunes filles, a été interdit dans son pays d'origine, le Kenya. Le prétexte : Rafiki ferait "la promotion du lesbianisme". Il a été ovationné à Cannes. Et sa réalisatrice Wanuri Kahiu est devenue une héroïne. Son film est devenu malgré elle un objet militant, politique face à l'obscurantisme et à l'intolérance.
"Je voulais juste défendre l'amour. Qui aurait cru que l'amour était une forme de rébellion ?". Oui, on en est là. Merci Wanuri Kahiu.
Le symbole était beau : le samedi 12 mai, 82 femmes du 7e art ont monté les marches du Palais des festivals. Et la reine Cate Blanchett y a prononcé un discours combatif : "Les femmes ne sont pas une minorité dans le monde et pourtant, notre industrie dit le contraire". Une image forte et des mots qui claquent pour réclamer l'égalité salariale, la parité. Et un uppercut dans le bide des réacs anti-#Metoo.
60 Palestiniens tués dont 8 enfants, plus de 2 000 blessés. Le lundi 14 mai a été marqué par la répression sanglante de l'armée israélienne à Gaza contre les manifestants qui protestaient contre l'inauguration à Jérusalem de l'ambassade américaine en Israël.
Deux jours plus tard, lors de la première de Solo : A Star Wars Story, l'actrice franco-libanaise Manal Issa a brandi une pancarte : "Arrêtez l'attaque à Gaza". Elle n'a pas souhaité commenter son geste. En effet, tout était dit.
Leur manifeste Noire n'est pas mon métier (paru le 3 mai aux éditions du Seuil) est un véritable pavé dans la mare. Dans ce livre acide, 16 actrices dénoncent le racisme et le sexisme qui rongent le milieu du cinéma. Ce jeudi 17 mai, elles ont enfoncé le clou : Sonia Rolland, Aïssa Maïga, Nadege Beausson-Diagne, Mata Gabin, Maïmouna Gueye, Eye Haïdara, Rachel Khan, Sara Martins, Marie-Philomène Nga, Sabine Pakora, Firmine Richard, Magaajyia Silberfeld, Shirley Souagnon, Assa Sylla, Karidja Touré et France Zobda ont assisté à la projection du film Burning, de Lee Chang-Dong. Elles ont monté les marches, main dans la main, belles et fortes. Et ont dansé sur le tube de Rihanna, Diamonds (clin d'oeil au film Bande de filles). Badass.
Symbole fort : le Festival de Cannes a été le premier signataire de la charte en faveur de la parité femmes-hommes dans les festivals de cinéma, lancée par l'association française 5050 pour 2020. Seuls 82 films réalisés par des femmes ont été projetés au cours des 71 éditions du Festival de Cannes contre 1688 réalisés par des hommes. Le chemin sera long, mais la voie est tracée.