Confessions d'une ex-Femen : un portrait sans tabou des sextrémistes
Publié le 24 février 2015 à 18:02
Par Charlotte Arce | Journaliste
Éloïse Bouton est l'une des premières Françaises à rejoindre Femen en 2012. « Sextrémiste » engagée, elle a participé à plusieurs actions médiatiques, parmi lesquelles celles menées à Notre-Dame de Paris et à l'Église de la Madeleine. Dans « Confessions d'une ex-Femen », elle raconte son expérience auprès des Femen. Sans rancœur ni regret, elle livre un portrait brut du mouvement féministe et n'hésite pas à évoquer ses dysfonctionnements internes. Nous l'avons rencontrée.
Confessions d'une ex-Femen : un portrait sans tabou des sextrémistes Confessions d'une ex-Femen : un portrait sans tabou des sextrémistes© Facebook/Femen France
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À 31 ans, Éloïse Bouton n'a rien d'une féministe novice. Pendant deux ans, cette journaliste de profession a milité au sein du mouvement qui suscite la fascination des médias et cristallise la haine des milieux extrémistes : Femen. Elle y a côtoyé Inna Shevchenko, la charismatique « leader » des sextrémistes françaises, a participé à la structuration du mouvement en France et donné de sa personne lors d'actions aussi périlleuses que médiatiques, des JO. de Londres à Notre-Dame de Paris. Avant de claquer la porte l'an dernier, fatiguée par le manque de cohésion et de communication au sein du mouvement.

Poursuivant aujourd'hui son « chemin militant et féministe en free-lance », Éloïse Bouton a raconté son expérience auprès des sextrémistes dans Confessions d'une ex-Femen. Elle y revient sur son parcours au sein du mouvement, des débuts balbutiants de la branche française à son action en solitaire à l'Église de la Madeleine, qui lui a valu en décembre une condamnation pour exhibition sexuelle. Sans rancœur ni concession, elle y évoque aussi les dysfonctionnements internes, les querelles intestines et le manque de confiance qui altèrent les relations entre ses membres. Enfin, elle n'hésite pas, au passage, à rétablir quelques vérités sur Femen : du financement au recrutement de nouvelles militantes, Éloïse dresse un portrait honnête du mouvement qu'elle a aujourd'hui quitté.

Femen, une expérience totale

Lorsqu'elle entre en relation avec Femen en 2012, Éloïse Bouton n'avait pas dans l'idée d'enlever le haut pour défendre les droits des femmes. « Au départ, je n'avais pas prévu de devenir activiste. Lorsque je le ai contactées via leur page Facebook ukrainienne, j'avais dans l'idée de leur apporter une aide logistique : proposer des traductions, et aussi leur écrire une chanson. Je ne savais même pas qu'elles prévoyaient d'ouvrir une branche française », nous explique Éloïse. Passée par Osez le féminisme et la Barbe, elle raconte dans son livre sa fascination pour ces militantes « provocantes, ironiques et modernes », qui utilisent les corps comme une arme contre la domination masculine.

Très vite pourtant, après sa rencontre avec Inna, Sasha et Oksanna, les trois fondatrices ukrainiennes de Femen, Éloïse devient une activiste à part entière. Avec d'autres militantes françaises, elle participe, dès août 2012, à sa première action aux JO. de Londres. « Tout à coup, tout se précipite. Je déboutonne ma veste. Je la jette au sol. Je dégaine ma couronne de fleurs. Je l'enfonce sur ma tête. Je marche à grands pas vers un attroupement de journalistes à une vingtaine de mètres. J'entends ma propre voix s'élever : "Kill a generation ! Kill a generation !" Je vois un policier à ma droite, puis un second. Je cours. Des journalistes partout. Des flashs qui crépitent. Des cris. Une cohue incroyable. »

Cette première action avec Femen sera aussi celle qui marquera sa première garde-à-vue. La première d'une longue série. Désormais épaulée par Inna Shevchenko, qui a rejoint la France après avoir scié une croix en bois à Kiev en soutien aux Pussy Riot, Éloïse Bouton participe activement à la construction de la branche française de Femen. « Au départ, Inna, Sasha et Oksanna envisageaient d'implanter Femen en France de manière très classique. Mais quand Inna a tronçonné la croix, tout s'est précipité et Femen France s'est un peu monté dans l'urgence. D'autant qu'aux débuts de Femen, on faisait tout à deux : on recrutait, on faisait les interviews, on planifiait les actions… Comme on endossait de nouvelles responsabilités en même temps, je pense qu'on a fait des erreurs, notamment en ce qui concerne la formation de nouvelles activistes. J'ai trouvé ça génial que Femen attire des femmes qui n'étaient pas féministes mais avaient envie de le devenir. Mais derrière, il aurait fallu les encadrer et les former, ce qu'on n'a pas pris le temps de faire. »

Les failles de Femen

Grisée par ses débuts au sein de Femen, Éloïse finit pourtant par déchanter. Le mouvement, qui ne prend pas toujours le temps de former ses militantes, délaisse aussi la communication interne. Lassées d'apprendre à la télé que certaines actions ont été menées sans qu'elles en aient été informées, certaines jettent l'éponge, convaincues de ne pas avoir leur place au sein du mouvement.

Dans les médias aussi, la curiosité des débuts laisse rapidement place aux questions, notamment celles relatives au financement de Femen. Là encore, les activistes préfèrent laisser couler que de répondre aux accusations. Une erreur, selon Éloïse. « C'est l'une des principales raisons de mon départ. Ce n'est pas du tout stimulant d'être dans un mouvement qui ne se remet jamais en question, qui n'apprend rien de ses erreurs. Mais plus que le manque de remise en question, c'est l'absence de prise de conscience qui est néfaste. Quand on entend partout que Femen est financé par un milliardaire ukrainien ou par Israël, ça vaut le coup de répondre. Je me suis même demandé si ça n'était pas une stratégie pour entretenir une sorte de mystère autour de Femen, pour faire parler, se demande Éloïse. Honnêtement, je ne comprends pas pourquoi certaines accusations infondées n'ont jamais été démenties. »

Elle explique aussi avoir été blessée lorsqu'on l'a accusé, à tort, d'être une taupe infiltrée au sein du mouvement. « Ça a été la goutte d'eau. Je me suis dit qu'avec tout ce que j'avais fait pour le mouvement, tous les procès Femen dans lesquels j'ai été inquiétée – j'en ai plus que tout le monde – c'était inimaginable qu'on me soupçonne d'être une traîtresse. Je me suis dit que je ne pouvais plus militer avec des gens qui n'avaient pas confiance en moi. »

Femen, un combat nécessaire

Déçue, Éloïse quitte Femen en février 2014. Désormais militante « free-lance », apportant ponctuellement son soutien à certaines associations féministes - elle a récemment participé à l'opération #TakeBackTheMétro d'OLF -, Éloïse explique qu'elle n'a pas gardé contact avec les Femen. « Elles viennent au procès, me soutiennent publiquement, mais c'est tout. Je crois qu'elles sont obligées d'être là car de ma condamnation dépend en partie l'avenir du mouvement. » Elle nous précisera plus tard par texto avoir réussi à joindre Inna pour avoir de ses nouvelles suite aux attentats de Copenhague.

Lorsque nous lui demandons si elle a des regrets, elle assure assumer toutes les actions qu'elle a pu mener avec Femen, même les plus controversées. « Mon seul regret concerne peut-être les slogans qu'on a utilisés lors de l'action à Notre-Dame. Si sur le coup, je les trouvais pertinents, maintenant, je peux comprendre pourquoi les gens n'ont pas compris la pertinence de l'action. »

« Je suis heureuse d'avoir œuvré au sein de Femen, ça a été un engagement très enrichissant, qui m'a permis de connaître mes limites en tant que militante. Ça m'a aussi appris que le dialogue était vraiment essentiel. Je préfère discuter, débattre avec des gens avec qui je ne suis pas d'accord que de cultiver l'entre soi. »

Et quand on demande à Éloïse comment elle imagine l'avenir de Femen, elle conclut : « Je pense que le mouvement, heureusement, continuera à être présent sur des sujets sur lesquels toutes les féministes devaient à mon avis se positionner. Elles ont été les seules à avoir mené une action lors du procès DSK, c'est fou ! J'espère simplement qu'elles réussiront à prendre un peu de recul et à retrouver une partie du second degré qui faisait le sel des premières actions et a disparu au fil du temps pour devenir quelque chose de très militaire, très sérieux. »

Éloïse Bouton, Confessions d'une ex-Femen, Éditions du Moment, 16,95 euros.

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Société feminisme femen
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