Santé
Pourquoi les menstruations sont déréglées pendant le confinement
Publié le 7 avril 2020 à 18:55
Par Pauline Machado | Journaliste
Pauline s’empare aussi bien de sujets lifestyle, sexo et société, qu’elle remanie et décrypte avec un angle féministe, y injectant le savoir d’expert·e·s et le témoignage de voix concernées. Elle écrit depuis bientôt trois ans pour Terrafemina.
Beaucoup ont témoigné de retard de leurs règles et de douleurs plus accrues depuis le début du confinement. Stress, hormones, changement de rythme... On a cherché à savoir comment la situation exceptionnelle influait aussi sur nos cycles menstruels, et pourquoi.
Pourquoi les règles sont déréglées pendant le confinement Pourquoi les règles sont déréglées pendant le confinement© Adobe Stock
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On s'attendait à ce que le confinement bouleverse notre quotidien. Rester chez soi, sauf à de rares exceptions, ne colle pas avec nos habitudes. Sans parler de sortir tous les soirs, peu réussiront à s'adapter à cette vie cloîtrée sans tiquer. Rien que le fait de devoir se munir d'une attestation sur l'honneur pour vaquer à quelques occupations extérieures dérange. Une nouvelle routine contrôlée, dénuée de contacts avec ceux et celles qui ne partagent pas notre foyer, qu'il faut adopter d'urgence. Et dont les répercussions physiques dépassent nos attentes.

Sur Twitter, depuis trois semaines, on repère des micro-témoignages qui tournent autour d'un sujet particulier : les règles. Ou plutôt, les changements que la situation engendre niveau menstruations. Des retards plus ou moins importants, des douleurs qui clouent au lit, une durée de saignements qui varie. Un sondage lancé par Ovidie, autrice et réalisatrice, témoigne d'ailleurs de l'ampleur du phénomène.

Dans un article du HuffPost, Danièle Flaumenbaum, gynécologue de la faculté de médecine de Paris, indique que "les règles sont sous la dépendance du système hormonal qui est régi par une glande dans le cerveau, l'hypophyse, elle-même supervisée par un système neuro-hormonal qui s'appelle l'hypothalamus, complètement réceptif à l'ambiance émotionnelle du moment, qu'elle soit sociale, familiale..." Des événements soudains et choquants peuvent alors "provoquer un court-circuit, une sidération dans la sécrétion harmonieuse de ces substances que sont les hormones, sécrétées par les glandes endocrines, et qui régissent l'équilibre de nos vies".

Plus concrètement, il y a celles qui en souffrent et d'autres qui considèrent cette assignation à résidence comme un contexte presque "confortable", car elle élimine les déplacements avec "une barre dans le ventre" et les efforts logistiques liés au change des protections hygiéniques. Quel que soit le vécu, ce qui est sûr, c'est que l'actualité chamboule aussi nos cycles. On a voulu en savoir plus.

A conditions exceptionnelles, conséquences exceptionnelles

"Mes règles sont arrivées plus tôt que d'habitude", témoigne Elsa, 35 ans. Elle a l'habitude de les suivre grâce à une application en ligne. Ce mois-ci, son cycle aura duré 26 jours au lieu de 30 habituellement, avec un flux totalement irrégulier. Mais elle n'a pas rencontré de douleurs plus intenses, au contraire de Juliette, 19 ans, étudiante à Bordeaux. Ses menstruations sont tombées pendant la première semaine du confinement. Bilan : un mal de chien. Elle soupçonne le stress. A cause de la situation générale et plus particulièrement de la profession de sa mère, infirmière libérale.

"Elle a intégré un collectif pour faire des surveillances à domicile de personnes ayant contracté le coronavirus et d'autres suspectées de l'avoir", explique-t-elle. "C'était à un moment où l'on entendait tout et n'importe quoi et ça m'a vraiment fait peur. Elle passait ses journées au téléphone à la maison, pour démarcher des entreprises et avoir du matériel... C'était en boucle et je pense que ça m'a affectée."

Une anxiété qui se traduit par des symptômes physiques, c'est possible, nous explique Dre Laura Berlingo, gynécologue-obstétricienne. Surtout en ce moment. "Il y a plusieurs choses dans le confinement : la peur de la maladie pour soi et ses proches, le fait d'être enfermé·e, et aussi un vrai changement de mode de vie. Tout cela crée un stress psychologique qui peut, de manière générale, influer sur le cycle de plusieurs façons : en le raccourcissant ou en l'allongeant. Et les douleurs vont un peu avec ça. Si le cycle est plus long, l'endomètre (le tissu qui tapisse l'utérus, ndlr) peut s'épaissir un peu plus que d'habitude et provoquer des maux plus intenses."

Le calvaire de l'endométriose confinée

Ces douleurs sont le quotidien des personnes atteintes d'endométriose. Une maladie chronique qui se caractérise par la présence de cellules d'endomètre en dehors de la cavité utérine : sur le col utérin, les trompes, les ligaments, les ovaires, le péritoine, le vagin ou encore la vulve. Parfois cependant, cette muqueuse migre sur des organes non génitaux, comme la vessie, l'appendice ou le côlon. Les symptômes sont multiples : règles douloureuses ou hémorragiques, troubles digestifs, fatigue chronique, infertilité ou encore douleurs pelviennes et lombaires. Une femme sur dix en est touchée, à des degrés d'intensité et des stades différents, allant de 1 à 4. Le diagnostic se fait en moyenne avec sept ans de retard.

C'est le cas d'Alexandra, 26 ans, qui souffre d'endométriose dite "invalidante" diagnostiquée il y a deux ans. Contrairement à des formes plus bénignes de la condition, ses douleurs à elles ne se cantonnent pas à la période de ses menstruations, même si elles atteignent leur pic à ce moment-là.

"Les lésions profondes du coté gauche causent des névralgies aiguës avec irradiation dans la jambe et le dos, ce qui rend la position assise ou debout très difficiles à tenir", détaille-t-elle. "Les muscles autour du bassin, en se contractant de douleurs, 'tractent' mes vertèbres lombaires, à tel point que je ne peux souvent pas me pencher seule ni marcher plus de 15 minutes, sans risquer de me bloquer totalement au niveau du bassin et du dos". Sur six jours de règles, elle en passe deux à trois clouée au lit, dans l'incapacité physique de bouger. Un état qui a "grignoté sur mon autonomie et mon indépendance", confie-t-elle. Et réduit drastiquement ses déplacements.

Depuis le confinement, elle avoue être plus angoissée et avoir plus mal. Elle dort moins bien, aussi, donc récupère peu. Pour l'instant, elle a quinze jours de retard sur ses règles. Si elle supporte bien le fait de devoir rester chez elle (elle y est malheureusement habituée), elle redoute toutefois leur arrivée sans anti-inflammatoires, peu recommandés pendant l'épidémie de Covid-19 à cause de leur effet nocif sur les infections. Pourtant, c'est ce qui aide à la soulager. Ça, et les séances d'ostéopathie, dont les cabinets sont fermés actuellement.

Car à défaut de traitement réellement efficace, ce sont les manipulations paramédicales qui apaisent. Capucine Larouge, membre du collectif A nos corps résistants et autrice du blog éponyme dédié aux combats qui entourent l'endométriose, l'atteste. Et pour elle, la situation est critique. Aussi atteinte d'endométriose invalidante qui la contraint à ne pas pouvoir sortir de chez elle autrement que pour consulter, elle nous explique que son parcours de soin a été complètement arrêté avec l'épidémie. Elle ne peut plus suivre ses séances de kiné ou de balnéothérapie, ni se rendre à ses rendez-vous à l'hôpital en neurologie ou au centre de la douleur, à cause de la crise sanitaire, qui a forcé les soignant·e·s à décommander les interventions non-urgentes. Sa détresse est bouleversante.

"C'est difficile car on a déjà le sentiment d'être toute seule face à l'endométriose, et cela s'intensifie en ce moment avec la sensation de ne plus avoir d'interlocuteur ou d'interlocutrice". Un constat qui traduit un manque notoire de reconnaissance de cette maladie bien réelle.

Mieux chez soi ?

Mais le confinement n'est pas uniquement source d'aggravation des symptômes menstruels. Au-delà de l'atmosphère anxiogène liée à l'épidémie de Covid-19, il y a la réalité physique : il faut rester chez soi. Et certaines femmes témoignent des conséquences positives que cela peut avoir sur la façon dont elles vivent leurs règles. Morgane, 21 ans, avoue par exemple que la douleur provoquée par son endométriose était ce mois-ci "largement plus supportable" que d'habitude. Or ce sont souvent de longues balades, couplées à un anti-inflammatoire, qui atténuent les effets de la condition - deux remèdes hors d'atteinte. Mi-mars, elle s'est contentée d'un pin de glace et de beaucoup de repos, loin de la pression sociale. "Il faut savoir que je suis beaucoup moins stressée depuis le début du confinement que dans ma vie 'normale', du fait d'être chez moi avec ma famille", précise-t-elle.

Pas de sortie, pas de boulot, pas de cours. Et pas besoin de devoir jongler entre ses règles et son quotidien non plus. "Je n'ai rien senti de différent de d'habitude, simplement que c'était plus confortable, plus pratique à gérer", confie Louise, 16 ans. "J'ai eu moins mal car, comme j'étais à la maison, je m'en suis moins préoccupée." Une de ses amies appuie : "Je trouve que ça fait moins mal de rester chez soi. Tu ne bouges pas, tu n'es pas là à quémander une serviette". Louise reprend : "Quand tu es en cours, t'es en galère, tu te demandes si tu n'as pas une tache. Alors que là, je ne me prenais pas la tête, je n'y pensais plus."

Elsa, elle, en a même profité pour tester la culotte menstruelle et les protections lavables. La situation exceptionnelle est l'occasion de recourir à une alternative écolo sans paniquer si celle-ci ne tient finalement pas ses promesses. "Je me suis lancée le défi de n'utiliser que ça pour la première fois. Au moins, je peux les laver tout de suite à la maison." Défi gagné, s'enthousiasme-t-elle.

Mais le fait d'être plus à l'aise chez soi, à l'abri des regards, ne trahirait pas aussi un tabou coriace qui condamne les femmes à avoir honte de leurs règles ? Pour Dre Laura Berlingo, c'est plutôt une question pratique : "Il y a plein de moments où c'est stressant [d'avoir ses règles], et ça fait du bien d'être dans son canapé avec une bouillotte sur le ventre, devant la télé, et de ne pas du tout faire attention à ça".

Depuis le début du confinement le 17 mars, la stigmatisation du phénomène naturel frappe en réalité d'une toute autre façon. Les attestations de déplacements dérogatoires n'autorisent les sorties au supermarché que pour subvenir à des "besoins de première nécessité". Jusque-là, ça paraît cohérent. Seulement, aucune liste précise n'accompagne l'expression. Récemment, plusieurs personnes ont rapporté s'être fait réprimander par les forces de l'ordre, alors qu'elles allaient se procurer des tampons et des serviettes. Le motif ? Leur achat n'aurait rien "de vital".

Dans un tweet, Marlène Schiappa, secrétaire d'Etat chargée de l'Egalité entre les femmes et les hommes, a confirmé qu'il était interdit de verbaliser en ce sens. Mais l'incident en dit long sur la place que la société réserve encore aux menstruations. Et le tabou qui les entoure est aussi responsable d'un fléau néfaste : la précarité menstruelle, ou l'impossibilité de certaines femmes de se protéger correctement, faute de moyens. Pendant le confinement, pour contribuer à le pallier, l'Etat a assuré créer 15 millions d'euros de chèques-services qui seront distribués aux personnes SDF afin qu'elles puissent se procurer vivres et produits d'hygiène, dans 220 000 points de vente. A voir si on les laisse y accéder.

Ne pas s'alarmer, mais se poser les bonnes question

Ces bouleversements périodiques, lorsqu'ils ne sont pas dus à une pathologie déclarée, Dre Laura Berlingo affirme qu'il faut les relativiser, mais ne pas les ignorer. "Ce qui est important, c'est de ne pas s'inquiéter outre mesure, et de ne pas éviter non plus de faire un test de grossesse si on constate un retard de règles après un rapport."

Elle explique que de nombreuses femmes observent effectivement des menstruations "anarchiques" causées par le stress de l'actualité, mais "le Covid-19 n'empêche pas de tomber enceinte ni les complications liées", comme les grossesses extra-utérines, qui font l'objet d'urgences gynécologiques. "Il faut qu'elles sachent qu'elles seront vues si elles en ont besoin. Le planning familial a constaté une baisse énorme de fréquentation, pas parce qu'il y a moins de besoin mais parce que les femmes ne s'y rendent pas. Par peur de la contamination dans les hôpitaux mais aussi parce qu'elles se disent que les médecins sont débordés. Or, il ne faut pas avoir peur de déranger ; le mieux restant d'appeler avant".

Elle intime de ne pas hésiter à consulter, même à distance, un·e médecin qui saura aiguiller vers un traitement plus fort que des antalgiques classiques si les douleurs persistent. Et ajoute également qu'en procédant par élimination de ce qui pourrait causer des retards dans notre cycle, on réduit le stress et donc le blocage. Ne pas les prendre à la légère, mais ne pas craindre un dérèglement inquiétant au premier changement non plus. Et puis agir avec bienveillance : en ces temps incertains, notre corps comme notre esprit ont besoin de temps pour s'adapter.

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