Monde
Corée du Nord : comment vivent les femmes dans le pays le plus fermé du monde ?
Publié le 16 avril 2015 à 09:00
Par Antoine Lagadec
Pays le plus fermé et le plus militarisé du monde, la Corée du Nord ne se laisse pas approcher facilement. France 2 diffuse ce jeudi 16 avril 2015 un reportage exclusif réalisé dans le pays par deux journalistes français pour "Envoyé Spécial". Terrafemina a rencontré l'un d'entre eux. L'occasion d'en apprendre plus sur la condition des femmes dans ce pays si secret. Interview.
Des étudiantes nord-coréennes à Mangyongdae dans la banlieue de Pyongyang Des étudiantes nord-coréennes à Mangyongdae dans la banlieue de Pyongyang© Sipa, NEWSCOM/SIPA
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Plus de 24 millions d'êtres humains coupés du reste de la planète, un régime autoritaire qui use de violence sur sa population et une surveillance omniprésente. La Corée du Nord fait figure de cas unique dans le monde.

Après plusieurs mois de négociations, les journalistes Nathalie Tourret et Julien Alric ont obtenu un accès au pays pour en savoir plus sur le quotidien des Nord-Coréens. Travail, vie de famille, loisirs... A travers un "Carnet de route" réalisé pour l'émission "Envoyé Spécial" sur France 2, les reporters nous emmènent à Pyonyang, la capitale, mais également en pleine campagne, où le retard agricole complique la vie des plus démunis.

L'enquête, qui aide à mieux comprendre la façon dont le régime contrôle ses citoyens, est aussi l'occasion de s'interroger sur la situation des femmes, dans un pays où la discrimination sexuelles est partout. Terrafemina a rencontré la journaliste Nathalie Tourret, co-auteur du reportage, pour en savoir plus.

Terrafemina : Comment êtes-vous parvenus à accéder à ces lieux d'ordinaire interdits aux médias ?

Nathalie Tourret : J'ai été correspondante en Corée du Sud pendant longtemps et ai pu suivre l'actualité de cette région du monde depuis le Japon. Mon premier voyage en Corée du Nord remonte à 2001. Au fur et à mesure de mes visites, j'ai pu établir une certaine confiance avec les autorités du pays qui, parce que nous restions factuels dans nos reportages, étaient plus enclines à nous redonner un visa. Mais j'avais besoin de cette confiance pour ensuite aller plus loin.

Lors du premier voyage en tant que journaliste, vous n'avez accès à quasiment rien. Plus on y va, plus on nous ouvre des portes. C'est ce qui nous a permis d'entrer dans l'intimité d'une famille, voir une usine, faire des micro-trottoirs... Des choses impossibles en temps normal. Mais avec ce reportage, on a joué notre va-tout.

Votre reportage dépeint une société sous surveillance permanente. Comment se traduit cette surveillance au quotidien pour les familles ?

L'Etat détermine tout dans la vie des Nord-Coréens : l'endroit où ils habitent, celui où ils travaillent, la quantité de nourriture qu'ils reçoivent... Tout cela est calculé en fonction de la confiance que les autorités placent en leurs citoyens. Les plus utiles et les plus fidèles au régime vivent dans de bonnes conditions : ils peuvent loger à Pyongyang, où il y a moins de coupures d'électricité, où l'eau est mieux acheminée, bénéficier d'une éducation et de soins de qualité.

La surveillance est omni-présente. Les femmes sont d'ailleurs autant surveillées que les hommes. Sur son lieu de travail, dans son immeuble, des responsables observent le comportement des citoyens. On peut même être surveillé au sein de sa propre famille, puisque la Corée du Nord encourage la délation, y compris de la part des enfants.

Ce climat impose aux citoyens une vigilance de tous les instants. D'autant plus que dans le pays, plier le journal sur la photo de Kim Jong-un ou regarder une série télé sud-coréenne peuvent être des comportements considérés comme un crime politique, et aller jusqu'à la peine de mort.

© France 2

On croise au fil de ce reportage des femmes guides, des gardiennes d'immeuble, des ouvrières... Comment sont choisis les métiers des femmes par le régime ?

Bien qu'il y ait officiellement une loi en Corée du Nord qui garantit l'égalité des sexes, il existe une vraie discrimination à l'égard des femmes. Celle-ci est historique, car la société coréenne (nord comme sud) est basée sur la philosophie confucianiste, c'est-à-dire une philosophie très conservatrice dans laquelle les hommes ont plus d'importance que les femmes. Ces dernières doivent le respect aux hommes et en particulier les plus âgés.

Dans cette société patriarcale, le rôle que l'Etat impose avant tout aux femmes est de nourrir la famille par un métier. Celui-ci dépend de l'endroit où l'on vit. A Pyongyang, on peut rencontrer des femmes guides ou qui travaillent dans les hôpitaux. A la campagne, aucune femme n'exerce de fonction à responsabilités. Lorsque celles-ci sont mises en avant, c'est d'abord pour louer leurs qualités de pureté et de dévouement.

Pourtant des femmes travaillent aussi dans l'armée, et sont parfois utilisées par le régime dans leur communication. Mais compte tenu de la structure de la société nord-coréenne, on peut imaginer qu'aucune femme n'occupe de position de haut-gradé dans le système militaire national. Au-delà de ces missions familiales et professionnelles, le régime attend des femmes qu'elles ne fassent pas de vagues, et surtout qu'elles ne fassent pas du tort aux hommes dont elles restent les subordonnées.

Il n'y a donc aucune femme aux postes de responsabilité, y compris au sein du gouvernement ?

Il n'y a pas, au sein des autorités nord-corénnes, de figure féminine excepté la soeur de Kim Jong-un, Kim Yo-jong. Depuis le printemps 2014, cette dernière est de plus en plus vue au côté de son frère. Quand Kim Jong-un n'est plus apparu en public, en raison d'un problème de santé, et que la question s'est posée de savoir qui pourrait prendre les rênes du pays, le nom de cette soeur a été évoqué.

Kim Yo-jong présente en effet l'avantage de maintenir la dynastie au pouvoir. Depuis, elle a pris du galon en devenant officiellement directrice adjointe de département du comité central du parti des travailleurs. On dit que son influence serait assez importante et qu'elle serait amenée à croître dans les années qui viennent.

Après ces voyages, que retenez-vous de la vie quotidienne des femmes dans le pays ? A-t-elle évolué ?

Quelques anecdotes sont à mon sens révélatrices de la situation des femmes en Corée du Nord. Il faut par exemple savoir que dans le pays, les femmes n'ont pas le droit de faire de vélo. La raison officielle est que la pratique du vélo est impudique -le fait de pouvoir voir le mollet d'une femme a un côté très amoral- et qu'elles peuvent avoir des accidents. Pourtant, vers l'automne 2012 et pendant quelques mois, elles ont été autorisées à utiliser le vélo avant une nouvelle interdiction début 2013.

La véritable raison de cette interdiction est surtout historique. Lors de la très grande famine qui a frappé le pays au milieu des années 1990, les femmes ont commencé à vendre quelques produits alimentaires (comme du pain fait maison) sur les marchés pour survivre. Cette activité leur a donné un certain pouvoir économique, ce qui n'a pas plu au régime. La décision aurait alors été prise d'interdire le vélo aux femmes pour les empêcher de transporter leur marchandise et donc de développer leur indépendance économique.

La question de l'apparence des femmes est également intéressante. Lors de mon premier voyage en 2001, il y avait un côté très austère dans la façon de s'habiller. Tout le monde utilisait des vêtements fournis par l'Etat, toutes les femmes avaient la même coupe de cheveux...

Pourtant, on remarque désormais bien plus de coquetterie. Les femmes adoptent de plus en plus les talons, les cheveux bouclés, du maquillage etc. Des choses qu'on n'avait pas l'habitude de voir dans le pays ont fait leur apparition. Du fait de l'influence de la Chine toute proche qui reste un partenaire privilégié, et du fait de la première dame de Corée du Nord. La femme de Kim jong-un, Ri Sol-ju, apparaît en public dans des tenues modernes et exerce à ce titre une influence sur les femmes du pays, même si elle n'a aucune fonction précise.

Un rapport publié l'an dernier par les Nations Unies a établi que des crimes contre l'humanité sont commis régulièrement dans le pays (parmi lesquels des avortements forcés et des viols). Les ONG ont-elles les moyens nécessaires pour prévenir ce type de situation ?

La question des droits de l'Homme est un vrai tabou. On a vu la réaction du régime nord-coréen à la publication de ce rapport. Il a été perçu comme un véritable affront. Les seules ONG sur place (environ une dizaine) interviennent majoritairement dans la santé et l'agriculture, seuls domaines qui ne sont pas polémiques. Leur priorité est de sécuriser leur travail, s'assurer que l'aide n'est pas détournée... Mais le simple fait pour ces ONG d'aborder la question des camps mettrait leur travail en péril.

La question des droits des femmes mobilise à travers le monde. Les événements qui se déroulent au Nigeria, au Pakistan, en Iran ou en Egypte suscitent beaucoup d'indignation. En quoi le cas de la Corée du Nord est-il différent ?

Du point de vue des médias français, il y a trois choses. D'abord l'éloignement : les pays asiatiques sont assez peu traités de manière générale, hormis la Chine et l'Inde. Ensuite, on parle beaucoup des pays que vous évoquez pour des motifs religieux, qui sont au centre des préoccupations actuelles.

Or ce qui se passe en Corée du Nord n'est pas le fait de croyances, mais d'un fonctionnement étatique. Enfin, il y a le problème de l'accès à l'information, puisqu'il est par exemple impossible de venir en Corée du Nord pour visiter un camp. Ceci dit, grâce à un nombre de plus en plus important de réfugiés qui parviennent à gagner la Corée du Sud, on a accès à des témoignages récents qui mettent en lumière les difficultés du pays.

Carnet de Route en Corée du Nord diffusé jeudi 16 avril dans la seconde partie d'Envoyé Spécial, à partir de 20h55 sur France 2. A revoir en replay.

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