En plein pandémie de coronavirus, les réseaux sociaux croulent sous les posts d'utilisateurs soucieux de passer un message crucial : restez chez soi. Individu·e·s lambda ou personnalités, chacun·e y va de son petit texte bien calibré, qui insiste sur l'importance de ne pas sortir pour éviter un pic d'épidémie dramatique. Une prise de parole qu'on salue, puisqu'elle va dans le sens des très nombreuses demandes du personnel soignant, qui lui, est au bord de la crise de nerf.
Seulement, il y a une différence entre intimer de se calfeutrer à la maison quand on fait partie du commun des mortel·le·s, et scander des "c'est dur, mais on va y arriver" depuis sa villa californienne avec piscine et parc de 3 hectares - au bas mot. Oui, donner l'exemple est essentiel, surtout au vu de l'influence que possèdent certains membres de la communauté privilégiée que forment les artistes millionnaires de ce monde. Mais s'il y a un conseil qu'on pourrait leur donner en retour, c'est celui-ci : ne poussez pas trop.
Le 19 mars, l'actrice Gal Gadot, interprète de Wonder Woman, a publié une vidéo sur son compte Instagram évoquant l'actualité. Jusqu'ici rien de surprenant. Elle explique entamer son sixième jour d'auto-isolation, et confie que "ces derniers jours [l]'ont rendue philosophique". Ah. "Ce virus a infecté le monde entier. Peu importe qui l'on est, peu importe d'où l'on vient. On est tous dans le même bateau".
Bon, deux choses. Déjà, merci pour l'analyse. Et ensuite, pas vraiment. On n'est pas vraiment tous "dans le même bateau", chère Gal.
Car vois-tu : tout le monde n'a pas la chance de pouvoir passer son confinement dans une baraque de rêve à Los Angeles, avec un dressing aussi grand que le studio de n'importe quel·le Parisien·ne qui ne gagne pas trois SMIC. Tout le monde n'a pas non plus la chance de rester serein·e et "bien tranquille à la maison" face à la perte considérable de revenus que l'annulation d'événements, la fermeture de commerces non-indispensables et la mise au chômage partiel d'une bonne partie de la population engendrent. Sans compter celles et ceux qui sont dans l'obligation de continuer à travailler dehors. Doit-on aussi te rappeler qu'aux Etats-Unis, les soins sont payants, extrêmement onéreux pour la plupart et que par conséquent : non, nous ne sommes pas tous égaux face à la maladie.
On saisit que ton intervention part d'un bon sentiment, on n'en doute d'ailleurs pas une seconde. Mais il serait plutôt judicieux de se réfléchir deux secondes avant de débiter des conneries pareilles.
Malheureusement, ça ne s'arrête pas là. Après ses quelques mots inspirés, l'actrice laisse place à une ribambelle d'autres stars qui ne semblent pas cerner ce que le reste de la planète vit, non plus. Depuis leur jardin, leur piscine, leur salon avec piano à queue et que sais-je encore, ils et elles se mettent à chanter Imagine de John Lennon. Mark Ruffalo, Cara Delevingne, Natalie Portman and co rivalisent de vocalises si fausses qu'elles nous filent des frissons de gêne, et entonnent des "Imagine no possessions" ("Imaginez qu'il n'y ait plus de possession") ou "Imagine all the people sharing all the world" ("Imaginez que tous les peuples partagent le monde") nauséabonds. Assez ironique de prôner des valeurs anti-capitalistes quand on fait partie des plus grosses fortunes d'Hollywood.
Parce qu'on croit en l'humanité et qu'on imagine (ah-ah) qu'ils n'ont pas vraiment réalisé l'indécence de leur démarche, on se permet un autre conseil. Arrêtez de perdre du temps à pousser la chansonnette sur les réseaux, vous nous éviterez de nous bloquer les yeux à force de les lever au ciel. Et prenez plutôt exemple sur certain·e·s de vos collègues. Blake Lively et Ryan Reynolds par exemple, qui ont préféré faire un don aux banques alimentaires (d'un million de dollars, exactement) que d'afficher leur absence critique de talent musical. Ou encore les joueurs de la NBA, qui décident de couvrir le salaire des employé·e·s de leurs stades pendant leur fermeture.
Trop radin·e pour débourser ? Arrangez-vous pour faire preuve de solidarité autrement, en contactant les assos autour de vous pour savoir ce dont les gens qui galèrent ont réellement besoin. Mais par pitié, faites-le en silence. Merci d'avance.