"Le masque a révélé qu'ils étaient plus 'confort' avec, ils se sentent plus en sécurité avec le masque, ils ont plus confiance en eux." Pour la psychopédagogue et enseignante Brigitte Prot, le constat est clair : face à la fin du port du masque, certains adolescents ne se sentent plus du tout à l'aise.
Un constat qui fait écho à un article publié fin mars dans le journal catalan El Periodico et soulignant l'existence d'un "sindrome de la cara vacia", traduit en français par le "syndrome du visage vide". La psychologue espagnole Georgina del Valle décrivait dans les pages du quotidien l'angoisse ressentie par certaines personnes, notamment les adolescents, à l'idée de ne plus porter le masque.
Pour la psychopédagogue Brigitte Prot et la psychologue clinicienne Aline Nativel Id Hammou, interrogées par Le HuffPost, si certaines personnes sont anxieuses à l'idée de retirer leur masque, le phénomène du "syndrome du visage vide" reste à discuter et à relativiser.
"Par rapport à la population que je peux accompagner, il y a beaucoup d'adultes, d'adolescents voire d'enfants qui peuvent avoir une forme de réticence à retirer le masque", observe Aline Nativel Id Hammou. Les deux psychologues ont en effet remarqué des difficultés chez certaines personnes qu'elles suivent à enlever le masque. L'important pour Aline Nativel Id Hammou étant de prêter attention à ce que cette réticence ne devienne pas "pathologique" comme "l'apparition d'une phobie à montrer son visage, à se réfugier derrière un masque".
"Mais 'syndrome du visage vide', ça ne convient pas. Je propose plutôt visage nu ou découvert", nuance Brigitte Prot. La psychopédagogue explique : "Vide, ça supposerait que quand on n'a pas de masque, notre visage est vide, au contraire c'est là qu'il est plein. Avec le masque, on ressemble à tout le monde. Excepté le regard, c'est toute une partie du visage qui est vide".
En ce qui concerne la population touchée, les deux expertes ne font pas exactement les mêmes constats. "Dans ma pratique, je retrouve plus des adultes que des enfants et des adolescents car, chez les adultes, il y a peut-être une prise de conscience plus forte des conséquences du Covid, de cette question de la responsabilité. La plupart des enfants et des ados sont très contents qu'il n'y ait plus le masque, c'est une forme de libération et d'apaisement", souligne Aline Nativel Id Hammou.
Pour Brigitte Prot, ce sont au contraire les jeunes qui sont les premiers concernés : "Ça touche surtout les adolescents qui étaient protégés du regard des autres. L'adolescence, c'est une période où ils ont besoin d'intimité mais ils ne l'ont pas dans la société actuelle car on les filme, car il y a beaucoup d'images d'eux qui circulent, notamment sur les réseaux sociaux".
"Enlever le masque, c'est être à découvert. Sans le masque, les ados sont beaucoup plus exposés. Ça peut leur donner des complexes, surtout que leur physique change beaucoup", poursuit la psychopédagogue, prenant l'exemple de la pilosité faciale chez les garçons. "C'est vrai que pour les adolescents, il y a la question du corps, du visage, de la beauté qui rentre en jeu [...]. Certains profils d'ados peuvent se réfugier derrière le masque, en lien avec les complexes physiques", appuie Aline Nativel Id Hammou.
La psychologue clinicienne note par ailleurs que "s'il y avait à la base un trouble anxieux chez l'enfant, l'ado ou l'adulte, il peut avoir cette appréhension à le retirer en lien avec des angoisses en rapport avec la contamination, avec la peur de transmettre le Covid aux gens qu'on aime [...]. Si on a bien vécu la crise sanitaire ou qu'on a déjà eu le Covid, ça peut être plus facile de s'autoriser à retirer le masque".
Ce "syndrome" est également un constat récent, comme le rappelle Aline Nativel Id Hammou. "Cette liberté de pouvoir enlever le masque, on la vit tous que depuis quelque temps, c'est un syndrome réactionnel à la crise sanitaire qu'on a vécue, comme le syndrome de la cabane", compare-t-elle.
Cette dernière incite à "relativiser la question de la réadaptation". "On s'est tous plus ou moins adaptés à la crise sanitaire, avec un conditionnement aux gestes barrières, où ça fait deux ans qu'on nous dit que c'est très important. Il faut donc laisser le temps au public de se réadapter vers une nouvelle norme d'après", souligne-t-elle. La psychologue clinicienne met en avant que la fin du port du masque en intérieur reste récente et incertaine.
Ce syndrome du visage nu ou découvert n'est en effet pas encore reconnu. "Il faut encore des mois ou au moins quelques semaines de recul pour savoir si ce syndrome pourrait s'installer chez n'importe quel humain", détaille Aline Nativel Id Hammou.