En partenariat avec la Fondation Européenne des Études Progressistes (FEPS), le groupe de réflexion GenPol, spécialisé dans les questions de genre, et la Fondation Jean Jaurès, les chercheuses Lilia Giugni (chercheuse à l'Université de Cambridge et militante féministe intersectionnelle) et Chiara de Santis (cofondatrice de GenPol) dévoilent une nouvelle étude considérable sur le phénomène des violences sexistes en ligne au niveau européen. Une note éclairante intitulée : "Les nommer, les combattre : Analyse à plusieurs niveaux des violences sexistes en ligne".
Le long d'une réflexion très structurée, les deux autrices révèlent l'étendue du problème, global, mais aussi quelques propositions concrètes pour mettre fin à ce cyber-harcèlement sexiste et toxique. En somme, il s'agit de nommer les violences pour mieux les combattre. Et la situation est urgente. Comme le rappelle le rapport, 73 % des femmes dans le monde auraient déjà subi des violences sexistes en ligne. Une étude des Nations-Unies précise même que les femmes risquent 27 fois plus que les hommes d'être agressées en ligne.
Et ces agressions en ligne prennent diverses formes. Contenus haineux, cyber intimidation, leaking de photos intimes (ce que l'on appelle le "revenge porn"), insultes sexistes et racistes en tout genre, mais aussi cyberflashing (réception contre son gré de contenu pornographique)...
Une variété de violences, virtuelles peut-être, mais aux effets bien réels. Selon une récente enquête de l'université de Northumbria (Angleterre) évoquée par la note de Lilia Giugni et Chiara de Santis, sur 200 victimes de violences en ligne, 40 % d'entre elles auraient été très "inquiétées" après cette violence en ligne, éprouvant du stress et de l'anxiété, quand lesdites victimes ne vivent pas simplement la situation comme un vrai traumatisme (26 % des cas).
De manière plus sociétale, l'étude des chercheuses rapporte qu'au vu de l'importance qu'occupent espaces numériques et réseaux sociaux dans le monde professionnel d'aujourd'hui, ces traumatismes, puisqu'ils engendrent bien souvent le départ desdites victimes, menacent en conséquence d'aggraver la sous-représentation des femmes "dans de nombreux secteurs, les débats publics et les sphères décisionnelles". Des femmes, mais aussi des minorités touchées par ces cyber intimidations, comme les personnes racisées et queer.
Dès lors, comment agir au juste ? Les deux autrices déploient plusieurs propositions.
Eduquer pour mieux prévenir, déjà : sensibiliser les jeunes audiences à ces violences en intégrant la question dans les programmes scolaires d'éducation sexuelle. Une formation pourrait être également dédiée aux adultes sur leur lieu de travail. Ensuite ? Renforcer les protections juridiques, et notamment les mesures législatives de pénalisation de ces violences, en s'assurant que professionnels du droit et forces de l'ordre savent reconnaître la "nature genrée" de ce cyber sexisme.
Autres plans d'action ? Inciter les services et plateformes sociales à renforcer leurs mécanismes de signalement et leurs procédure de retrait de contenus. En somme, à mieux filtrer les contenus haineux, protéger les utilisatrices, leurs données et leur intégrité. Concernant les victimes, justement, davantage de ressources logistiques et financières spécifiques devraient être consacrées aux associations et groupes les soutenant.
Mais cette analyse à plusieurs niveaux des violences sexistes en ligne incite également à réglementer les services numériques dans l'Union européenne (c'est-à-dire définir plus précisément les contenus et comportements illégaux), prendre au sérieux les effets de la numérisation sur les processus démocratiques (pendant les campagnes électorales notamment) ou encore promouvoir, à l'échelle de l'Union Européenne, davantage de données et d'informations au sujet des cyber violences, pour mieux les combattre.
Une longue lutte qui ne fait que commencer, donc.