Le but des applications sur smartphones est de s'immiscer dans notre quotidien afin de nous le simplifier, et si les idées de Daech sont pour le moins obsolètes, le groupe islamiste ne se prive pas des avantages que peuvent lui offrir les innovations technologiques. Et il l'a rappelé en sortant une application destinée à promouvoir son message dévastateur chez les enfants.
D'après Quartz , cette application, appelée "Huroof" ("alphabet" ou "lettres" en arabe), cible directement les plus jeunes : elle a pour but de leur apprendre à parler arabe de manière ludique, à grand renfort de jeux et de chansons. Mais bien évidemment, cela ne se résume pas à de la linguistique : les leçons sont truffées de références et de messages idéologiques islamistes. Parmi les premiers mots à apprendre, on trouve par exemple "tank", "mitraillette" et "munition", comme le montrent les screenshots partagés par le Long War Journal. De quoi former de parfaits petits djihadistes.
Disponible sur les appareils Android, l'application a été distribuée grâce aux chaînes Telegram de l'Etat islamique. Ce service de messagerie ultra-sécurisé semble en effet être le canal de communication favori des islamistes. Malgré les efforts répétés en novembre dernier de la start-up berlinoise pour fermer les comptes utilisés par Daech (elle a tout de même réussi à en supprimer 78 comptes qui servaient aux islamistes), l'application est toujours l'outil de distribution de propagande privilégié par les terroristes. Selon le Telegraph, les terroristes se serviraient de la messagerie pour s'envoyer en privé les liens de téléchargement de leurs applications, ce qui leur permet de les installer sur leurs téléphones sans avoir à mettre les applications en question sur la plateforme du Google Play Store, où elles sont systématiquement retirées en moins d'une minute.
Huroof n'est pas la première application lancée par Daech. Le groupe organisé avait déjà mis au point une application de propagande qui diffusait des messages terroristes et des vidéos de décapitations, en relayant les informations de Amaq News Agency, la chaîne de propagande officielle du djihad. Ce n'est pas non plus le seul groupe extrémiste à se servir des applications pour diffuser leur message plus largement : en avril, les Talibans ont mis au point une application appelée Alemarah, qui reprend des déclarations officielles et des vidéos de propagande. Cependant, c'est la première à s'adresser directement aux enfants : dans son communiqué de presse pour la sortie de l'application, The Guardian rapporte que le groupe de terreur dit qu'elle "enseigne l'alphabet arabe aux 'lionceaux'" (l'EI appelle les enfants dans ses rangs les "lionceaux" et les parents les "lions"). Et c'est une preuve inquiétante qu'un échelon supplémentaire a été gravi en matière de propagande.
Après avoir cherché à partager son message le plus largement possible, le groupe islamiste cherche désormais à atteindre des publics plus ciblés afin de renforcer le lavage de cerveaux auquel il se livre massivement -et non sans succès, malheureusement. L'endoctrinement des enfants est une étape essentielle dans toute campagne de propagande et de bourrage de crâne : maîtriser les enfants revient à former une génération future de soldats et assurer à son mouvement une continuité, comme le rappelle le Huffington Post. Mais que cela se fasse avec l'aide d'applications réaffirme la puissance du réseau mis en place sur la Toile par Daech.
C'est la force du groupe terroriste : c'est ce qui lui assure ses recrutements et sa notoriété, mais aussi qui lui permet de répandre insidieusement la terreur, par le biais d'images choquantes et de vidéos d'exécutions ou de torture . Les djihadistes semblent gérer ce réseau à la manière de community managers, en lançant de nouvelles applications ciblées, en faisant des campagne massives de (dés)information, et en multipliant les formats distribués (vidéos, photos, discours, communiqués, jeux... ), ainsi que les supports. Assaël Adary, président du cabinet d'études Occurrence et co-auteur de l'ouvrage Communicator, confiait au Figaro en novembre 2015 : "Daech est passé maître dans l'art de communiquer. Branding, usages des réseaux sociaux, production vidéo, dispositif de référencement sur le Web... Nous avons des experts en face de nous. Derrière des rituels qui font sa signature et son identité de marque, la stratégie de communication de Daech est réfléchie, planifiée et puissante". A l'heure des réseaux sociaux, du règne des smartphones et de l'avènement de l'hyperconnectivité, un réseau agit comme des mailles de filet : c'est en le travaillant qu'on resserre les liens d'une communauté et qu'on la soude. Et malheureusement, Daech l'a bien compris.