Connaissez-vous l'éducation "roue libre" ("free range" en anglais) ? Aussi appelée "parentalité libérée", cette réécriture des préceptes éducatifs traditionnels consiste à élever sa progéniture en privilégiant la notion d'indépendance. Enseigner à ses enfants les vertus de la liberté individuelle et des responsabilités sans forcément que cet état d'esprit ne vrille à l'inconscience pure et dure. Autrement dit, un sacré équilibre dans la force à trouver pour les parents.
Car il en faudrait peu pour que cette éducation roue libre n'aboutisse au crash le plus fracassant. Privilégier cette parentalité libérée, c'est prendre le contrepied d'attitudes considérées comme négatives, comme la surprotection de ses enfants, qui peut être étouffante et préjudiciable à leur développement. Au contraire, cette parentalité met l'accent sur l'autonomie. Mais cette liberté peut-elle vraiment s'imaginer sans une certaine discipline ? Une pédagogie qui peut interloquer.
Mais quelles formes prend donc cette éducation ? Simple : elle s'exprime à travers divers choix parentaux. Celui de laisser ses enfants se rendre seuls à l'école par exemple, sans être accompagnés d'un adulte, ou encore les laisser sortir seuls afin d'aller voir leurs camarades en prenant les transports en commun. Les laisser prendre leurs propres décisions concernant des enjeux du quotidien également. Accepter qu'ils soient hors de votre champ de vision. De façon plus globale, modérer une prudence parentale qui peut virer à l'obsession, voire au maladif.
Les mots-clés déterminants de cette parentalité libérée sont donc : indépendance et confiance. Selon les pratiquants de cette pédagogie relâchée, l'autonomie des enfants ne peut que faire du bien aux principaux concernés. Une assurance pas si facile à privilégier quand on lui préfère une toute légitime surveillance. La parentalité libérée pose de vraies questions quant à la maîtrise que les parents cherchent à conserver auprès de leurs enfants.
Tant et si bien que certaines organisations promeuvent cette philosophie pas comme les autres afin de convaincre les plus sceptiques. C'est notamment le cas de Free-Range Kids, qui vise à "combattre la croyance selon laquelle nos enfants seraient constamment en danger". A la fois mouvement, livre et blog, Free Range Kids a été créé afin de bousculer les habitudes des parents en leur rappelant les vertus du lâcher-prise, cet état d'esprit zen.
L'autrice Lenore Skenazy est l'instigatrice de Free-Range Kids. Elle a déjà laissé son enfant de neuf ans rentrer de l'école par ses propres moyens et a été critiquée pour ça. Au Guardian, elle affirme que la liberté n'implique pas forcément l'insécurité. Laisser sortir ses enfants par eux-mêmes, selon leur âge, est un bon début. Elle suggère même la possibilité de ne pas leur laisser de téléphone portable. "En Amérique, les enfants passent quatre à sept minutes par jour à l'extérieur sans être supervisé par un adulte", raconte-t-elle.
"Un lycée de la Silicon Valley a pris l'initiative d'amener les enfants à un endroit époustouflant : leur propre quartier. Et les laisser seuls. Sans adulte. Afin de les inciter à se promener, à jouer dehors, à faire du vélo jusqu'à la bibliothèque – des trucs d'enfants normaux", se réjouit-elle sur son site. Une vraie initiative "libérée". Lenore Skenazy déplore que seuls 13% des enfants américains viennent à l'école à pied et voit là le signe d'une "nouvelle norme radicale : une enfance passée sous la surveillance constante d'un adulte".
"Il s'agit pour l'enfant d'apprendre qu'il peut résoudre des problèmes, prendre des décisions et évaluer lui-même les risques. On dit que dorloter les enfants trop longtemps peut entraîner des taux plus élevés d'anxiété et de dépression lorsqu'ils deviendront de jeunes adultes", détaille encore au média britannique Helen Dodd, professeure de psychologie de l'enfant à l'Université d'Exeter, dans le New Hampshire, qui semble considérer la légitimité de cette vision des choses. Cette éducation peu orthodoxe aurait donc du bon.
Mais si les défenseurs de la parentalité "roue libre" parlent d'expérience acquise et d'aide au développement, ses détracteurs parlent plus volontiers de mise en danger, d'abandon et d'inconscience. Outre-Atlantique, de nombreux Etats interdisent d'ailleurs légalement aux parents de laisser leurs enfants seuls et sans surveillance, pas simplement sur le chemin de l'école, mais à l'intérieur de la maison trop longtemps, pour des raisons de sécurité. La normalisation de cette éducation alternative prendra donc du temps.