Série animée, longs-métrages, gammes de jouets toujours plus foisonnantes... Avec les années, Lego est devenue, plus qu'une entreprise, un véritable empire. Un étrange monde qui n'hésite pas à puiser dans d'autres franchises (Batman, Star Wars, Harry Potter) pour mieux envahir les rayons des magasins de jouets. Mais si la moindre oeuvre pop s'est vue "Lego-isée", qu'en est-il des enjeux de la société où ces bonhommes éclosent ?
On en est droit de se poser la question face au retentissement des créatures jaunes les plus célèbres au monde – juste avant Les Simpson. Autrement dit, quelles valeurs représentent au juste ces petites figurines ? Y trouve-t-on un certain équilibre dans la représentation des sexes ? Comment le genre s'exprime-t-il au gré des boîtes de Lego ? Qu'est-ce que Lego propose à nos enfants ?
En somme, les Lego de nos kids sont-ils féministes ? On s'interroge.
A première vue, Lego fait office d'alternative aussi populaire qu'inclusive dans un microcosme – celui des jouets – qui pèche souvent de ce côté-là. On y trouve aussi bien des personnages féminins que masculins, en sachant que la présentation traditionnelle des Lego (physique relativement homogène, cheveux détachables) ne témoigne pas forcément d'une insistance lourdingue sur l'aspect "girly" ou viril des personnages manipulés.
Comme les décors et les véhicules du fabricant de jouets scandinave (Lego est né au Danemark dans la première moitié du siècle dernier), les figurines sont avant tout ce qu'en feront les enfants. Soucieux d'éviter les pépites sexistes, Lego n'hésite pas à fustiger le marketing genré. En 2014, la célèbre marque l'énonçait l'espace d'un slogan fédérateur : "L'envie de créer est forte chez tous les enfants. Garçons et filles. C'est l'imagination qui compte. Pas de concurrence".
Dans ses annonces, Lego semble calquer cette politique du genre sur ce qui a contribué au succès de ses produits depuis tant d'années : tout comme les enfants peuvent concevoir des objets hybrides en s'émancipant des instructions fournies dans chaque boîte, l'audience elle aussi est pensée dans sa mixité, sa fluidité et sa pluralité. Et ce, sans ignorer les discriminations d'une société pas simplement imaginaire mais bien réelle.
La preuve ? En 2014 toujours, Lego proposait trois nouvelles figurines à l'effigie de femmes scientifiques. Se retrouvaient mises en boîte une paléontologue, une astronome et une chimiste. Le domaine scientifique ne semble pas avoir été choisi au hasard, puisqu'il s'agit d'un domaine où perdurent les inégalités – la représentativité des femmes n'y est pas encore assez forte. En 1993 déjà, Lego proposait sa première astronaute, puis sa première chirurgienne, comme le rappelle le quotidien belge La Libre.
Le ludisme de ces produits cacherait donc un message moins anodin qu'il n'y paraît.
Mais ces démarches d'inclusion n'éloignent pas Lego des polémiques. Comme l'énonce le site Good House Keeping, nombreux sont les internautes à rappeler que, oui, Lego fait bel et bien du marketing genré. Certaines gammes sont dédiées aux filles, d'autres aux garçons. C'est notamment le cas de la gamme Lego Friends, ouvertement destiné à un public féminin. Une série qui a fait grincer des dents par certains décors qu'elle mettait en scène, ou plutôt en briques : un salon de beauté aux couleurs douceâtres, un salon de coiffure, un espace de danse, un centre équestre... On a déjà connu decorums moins clichés.
Ce qui avait suscité bien des réactions. Charlotte, jeune Américaine de 7 ans, avait alors épinglé le fabricant de jouets, se souvient Le Monde. "Je veux que vous fassiez plus de Lego filles pour les laisser partir à l'aventure et s'amuser, OK ?", avait écrit celle-ci à l'adresse de l'entreprise. La petite fille avait également observé que ses Lego "filles" n'avaient pas les plus éclectiques des occupations : "Rester assises à la maison, aller à la plage, faire les boutiques", énumérait-elle. Les Lego féminins seraient encore trop éloignés de l'appel à l'aventure.
"Lego commercialise certains produits de manière agressive auprès des garçons, et propose aux filles des maisons de poupée et et salons de maquillage plus faciles à assembler", relate en ce sens Good House Keeping. En parlant de maquillage, force est de constater que Lego dissocie bien souvent les genres en ajoutant du rouge à lèvres ou du fard à paupières sur ses personnages féminins. C'est notamment le cas du côté de Lego Friends.
La BBC de son côté fustige une inégale répartition des rôles. Selon Megan Perryman, militante du collectif Let Toys Be Toys, Lego ne s'émanciperait pas tout à fait d'une règle commune dans le domaine des jouets : assigner les rôles "d'action" aux personnages masculins – pompiers, astronautes, des professions dynamiques en diable. En parallèle, les personnages féminins seraient associés aux domaines du soin et de l'attention portée à l'autre.
Si le public visé par Lego est mixte, les jouets vendus n'échappent pas toujours aux stéréotypes de genre. Cela étant, la boîte créée en 1932 (mais qui ne proposât les fameuses "briques" qu'en 1949) fait en sorte de rectifier ses erreurs. En ce mois de juin, Lego a ainsi lancé une gamme LGBTQ constituée de onze figurines et répondant au nom de "Everyone is awesome" (clin d'oeil à "Everything is awesome", hymne que les fans du film connaissent bien).
Par-delà le symbole arc-en-ciel qui recouvrent ces jouets coûtant un peu moins de 30 euros, on y retrouve également les couleurs emblématiques du drapeau de la communauté transgenre - bleu, blanc et rose. L'idée ? Privilégier la diversité. Et "proposer un modèle qui symbolise l'inclusivité et célèbre tout le monde, quelle que soit son identification ou la personne qu'il aime, car chacun est unique", affirme le designer Matthew Ashton.
Des figurines symboliques colorées donc, mais dépourvues de maquillage, d'expressions faciales et de fonction sociale déterminée, comme des pages blanches sur lesquelles les enfants viendraient écrire leurs propres histoires. De quoi moderniser quelque peu une marque qui tente de vivre avec son temps.