On a tous une vision particulière de Marilyn Monroe. Certain·e·s privilégient les séquences cultes, de la robe soulevée par la bouche d'aération dans Sept ans de réflexion de Billy Wilder aux quiproquos burlesques en compagnie de Tony Curtis et Jack Lemmon dans Certains l'aiment chaud (du même Wilder) en passant par le "poo poo pee-doo !" hérité de Betty Boop. D'autres évoquent plutôt des titres emblématiques valorisant sa brillance glam comme Les hommes préfèrent les blondes et Comment épouser un millionnaire.
Et puis, il y a celles et ceux qui se plongent dans ses photographies et entrevues, comme pour percer entre les mots et les images le mystère d'une icône hollywoodienne aussi bien malmenée par l'industrie que par la vie. Que racontent au juste ces sourires solaires et cette blondeur qui ne l'est pas moins ? Une existence chaotique, celle d'une enfant placée en famille d'accueil, à la mère diagnostiquée schizophrène, qui fut victime de viol et d'agression, avant de mourir à 36 ans seulement d'une overdose de barbituriques.
C'est ce croisement entre le fantasque et le tragique qui rend Marilyn Monroe atemporelle : son oeuvre comme son parcours parle à bien des femmes et des féministes. La comédienne aux trente films fascine encore autant le grand public que les cinéphiles. Et est même devenue au fil des années un emblème culturel au sein de la communauté LGBTQ. Une reconnaissance qui s'explique de bien des manières.
De défilés Pride en billets de blogs militants, l'ombre bienveillante de Marilyn Monroe plane sur la communauté aux couleurs arc-en-ciel. Marilyn importe pour les personnes homosexuelles et les femmes lesbiennes, mais aussi pour les drags, qui ont volontiers revêtu ses tenues cultes, lui rendant hommage en la "performant". Et pas simplement car sa silhouette gentiment rétro - sa coupe de cheveux notamment - est si évocatrice.
Non, de son vivant, l'actrice de La rivière sans retour n'a jamais caché son soutien envers la communauté queer. Alors que la presse l'accablait d'un statut qui sonnait comme une malédiction (la blonde fantasmée en pin up, objet de désir du regard masculin, ou "male gaze" des cinéastes), l'actrice se plaisait à considérer les voix marginalisées. Comme nous le rappelle Far Out Magazine, elle aurait défendu le mariage entre personnes du même sexe face à Jane Lawrence, présidente lesbienne de son fan club.
"Quand deux personnes s'aiment, qui se soucie au juste de leur couleur, de leurs goûts ou de leur religion ? Ce sont deux êtres humains. C'est beau. L'amour est beau. C'est si simple", aurait-elle déclaré. Une autre de ses répliques à ce sujet ? "Aucune sexualité n'est 'mauvaise' s'il y a de l'amour dedans". A l'adresse de son cher ami, le comédien bisexuel Montgomery Clift (Soudain l'été dernier), elle aurait même ajouté : "Les gens adorent se mettre des étiquettes les uns sur les autres. Ainsi, ils se sentent en sécurité".
Marilyn Monroe connaissait bien les étiquettes et savait à quel point elles pouvaient malmener votre santé - mentale et physique.
Parmi ces étiquettes dont on l'a affublée, il y a eu justement celle, sulfureuse pour l'industrie de l'époque, de femme à la sexualité ambiguë. Marilyn Monroe était-elle lesbienne ou bisexuelle ? Citée par le Huffington Post, la biographe féministe Lois Banner l'affirme : "Si Marilyn a eu des aventures avec de nombreux hommes éminents – le joueur de baseball Joe DiMaggio, le dramaturge Arthur Miller, le réalisateur Elia Kazan, l'acteur Marlon Brando - elle éprouvait également du désir envers les femmes et a eu des aventures avec certaines d'entre elles".
Ses relations avec certaines amies lesbiennes, comme l'actrice et professeure de théâtre Natasha Lytess ou encore la comédienne Barbara Stanwyck, ont ainsi fait l'objet de bien des rumeurs, comme le relate Far Out Magazine. Face à ces ragots pour tabloïds, la star maintes fois incarnée à l'écran (par Uma Thurman et Michelle Williams notamment) préférait encore répondre par le pied de nez. "Un homme qui m'avait embrassée a dit une fois qu'il était très possible que je sois lesbienne parce que je restais de marbre face aux hommes... c'est-à-dire à lui. Je ne l'ai pas contredit", aurait-elle un jour décoché, selon la revue en ligne toujours.
Mais il y a quelque chose d'autre par-delà ces gossips qui explique pourquoi Marilyn compte autant pour la communauté queer. Pour bien des voix, elle suscite l'identification et incarne une forme de modernité à l'heure où il n'est pas rare de voir les superstars évoquer dans les médias leur santé mentale (c'est notamment l'un des grands sujets de la popstar Billie Eilish, qui s'est plu à détourner l'actrice en couverture du magazine Vogue).
Car par-delà ses regards où plane parfois une certaine mélancolie, c'est sa grande vulnérabilité qui inspire le plus les personnes marginalisées. "J'aime Marilyn Monroe ; elle a toujours semblé me montrer que même si vous êtes belle, vous pouvez toujours vous sentir en insécurité. Elle était belle, fragile, aimait chanter et danser et cherchait toujours quelqu'un à aimer", analyse le blog lgbt The Gay UK. De quoi rappeler les slogans de la communauté : "Love is Love", "Love First". L'amour avant tout.
Pour toute une partie de la communauté LGBTQ, Marilyn Monroe soutenait les minorités opprimées car elle éprouvait intiment ce sentiment d'oppression, cette confrontation directe à la violence du monde, aux préjugés et aux discriminations d'une société hétéronormée où les rapports de pouvoir briment et silencient. Elle est parvenue à flamboyer sans s'émanciper de cette vulnérabilité, jusqu'à son décès dramatique.
Une vulnérabilité à laquelle bien des artistes gay ont rendu hommage. Comme Elton John, qui lui a dédié son tube Candle in the Wind. "Au revoir Norma Jean", y chante l'interprète, rappelant le véritable nom de la native de Los Angeles. Elton John semble se reconnaître dans le récit de "Norma", envisagée en "role model", femme meurtrie, source d'admiration, voire même, confidente lointaine. "Et j'aurais aimé te connaître / Mais je n'étais qu'un enfant / Ta bougie s'est éteinte bien avant", chantonne-t-il encore.
Alors que s'achève le Mois des Fiertés, Marilyn Monroe fait office de présence sereine, invoquée "de la saison 5 de l'émission de télé réalité RuPaul's Drag Race [mettant en scène des drag queen, ndlr] aux murs des bars gay de tout le pays", comme l'énonce le blog LGBTQ américain Towle Road. Qu'Elton se rassure, la bougie ne s'est pas vraiment éteinte.