À 30 ans, Deena Fadel est ce qu'on peut appeler une véritable "business woman". Depuis 2010, cette jeune femme qui a fondé sa ligne d'accessoires ménagers baptisée "Joud" ne cesse d'embaucher pour répondre à la demande de ses clients en Arabie Saoudite, au Qatar, à Dubaï ou Oman. Car Deena Fadel, elle, est Égyptienne. Et malgré la situation que connaissent les femmes dans son pays, l'entrepreneur assure être désormais à la tête d'une affaire florissante, qui emploie 15 personnes et dispose de deux boutiques au Caire.
"Je voulais vivre une nouvelle expérience", a expliqué à la BBC celle qui a dû se débrouiller seule pour lancer son entreprise. Une faible somme d'argent en guise d'investissement de départ, un marketing appris sur le tas... Voilà Deena Fadel vendant désormais tout ce dont une maison peut avoir besoin : des coussins aux plateaux en passant par les abat-jours et les serviettes.
Mais le rêve devenu réalité n'a pas été sans obstacle pour l'Égyptienne. La relation avec les fournisseurs, en grande majorité des hommes, est un véritable casse-tête reconnaît la chef d'entreprise. "Il était très compliqué au départ de les convaincre de croire à ma façon de faire", s'est-elle souvenue.
Un constat partagé par Sally Sabry et Doaa Zaki, deux autres businesswomen du pays. Deux femmes, deux voiles... et deux esprits tout entier tournés vers la volonté de créer un projet économiquement viable. De là est née Best Mums, entreprise créée en 2006 et spécialisée dans la vente de produits pour bébés et futures mamans. À 28 et 27 ans, Sally et Doaa ne pensaient pas avoir les outils pour s'imposer sur le marché. Après avoir acheté une couverture d'allaitement de fabrication américaine, Sally Sabry s'est rendue compte qu'elle pouvait concevoir et produire cet objet avec la même exigence de qualité. Les deux jeunes femmes vendent désormais 200 produits par mois sur leur propre site web et travaillent avec une douzaine de détaillants en Égypte.
Difficile de se lancer ? Pas vraiment, résument les deux partenaires qui expliquent que, même si elles se sont heurtées à la perplexité de leurs interlocuteurs en montant leur entreprise, elles n'ont jamais subi l'hostilité des hommes. "Au début, ils étaient très surpris. Maintenant nous avons des relations très amicales", a affirmé Doaa Zaki. Au-delà des fournisseurs, c'est aussi une autre Égypte qui s'est ouverte aux deux jeunes femmes. Celle de l'entreprenariat. "C'était très excitant, on a gagné en confiance en nous. On a rencontré des gens de différents milieux, de différentes éducations (...) Sans Best Mums, nous n'aurions jamais pu quitter notre communauté", se souviennent les deux femmes.
Mais si les trois entrepreneuses ont su montrer que créer une entreprise quand on est une femme est possible en Égypte, de récentes études indiquent que le pays reste un terrain peu propice à ce type d'initiative. Parmi elles, celle réalisé par le think tank "Global Entrepreneurship Development Institute" (GEDI).
Dans un rapport publié en 2014, l'organisation sans but lucratif a classé 30 pays selon leurs capacités à favoriser le développement d'entreprises créées par des femmes. Sans surprise, l'Égypte se classe parmi les derniers pays en la matière, puisqu'elle est 28e, juste devant le Bangladesh et le Pakistan. Principale raison de ce retard : la société égyptienne attend avant tout de ses citoyennes qu'elles soient des femmes au foyer à plein temps. Selon Amal El Mohandes, directrice d'un programme de défense des droits des femmes dans l'organisation féministe Nazra, cette situation crée un "double fardeau" pour celles qui veulent se lancer dans l'aventure de l'entreprise : "Car si les femmes entrepreneurs n'accomplissent pas, dans le même temps, leurs devoirs familiaux, elles sont très mal vues".
Malgré cette situation, le constat est pourtant celui d'un accroissement significatif du nombre de femmes chefs d'entreprise. Le taux de femmes entrepreneuses est aujourd'hui de 11% en Égypte, contre 3% il y a 8 ans. Une progression de un point par an qu'Alia El Mahdi, professeur d'économie au Caire, explique par une double raison : la baisse de recrutements dans le secteur public et la discrimination persistante dans le secteur privé. "Le gouvernement ne recrute plus. Si hommes et femmes sont concernés par ce problème de manière similaire, les femmes sont plus affectées par cette décision car le secteur privé est également moins enclin à les embaucher".
De cette impasse naîtrait l'envie, pour certaines d'entre elle, de lancer leur propre affaire afin de gagner leur vie. Une prise de conscience qui pourrait bien permettre à l'Égypte de gagner, dans les années à venir, quelques places au classement du GEDI et favoriser ainsi l'influence économique du pays dans la région.