En France, une femme sur dix souffre d'endométriose. Cette maladie chronique qui touche 180 millions de femmes dans le monde, se manifeste le plus souvent à l'arrivée de la puberté pour s'achever à la ménopause.
L'endométriose est liée à l'endomètre, tissu qui revêt l'utérus. Quand l'endomètre se désagrège, au moment des règles, les cellules quittent l'utérus.
Mais dans le cas de l'endométriose, les cellules remontent dans des organes comme les reins, les intestins ou la vessie, provoquant un inconfort ou des douleurs plus ou moins intenses en fonction du degrés de sévérité de la maladie.
Laissée de côté pendant longtemps par la médecine, l'endométriose reste une maladie complexe. Le délai moyen entre l'apparition des premiers symptômes et le diagnostic est de sept ans. Mais dans le cas de Virginie Durant, autrice de 38 ans, le verdict s'est fait attendre pendant plus de vingt ans.
Les douleurs sont pourtant apparues dès ses premières règles, lorsqu'elle avait douze ans. Cette étape importante dans la vie d'une femme qu'elle attendait avec impatience va vite se transformer en cauchemar. Virginie va enchaîner les consultations médicales pour s'entendre dire que ses douleurs sont "normales" ou "psychosomatiques".
Son cas dépasse les médecins. Elle va même subir une opération de l'appendicite et une intervention pour un avortement, alors qu'elle n'est pas enceinte. Rien n'y fait. Virginie a toujours aussi mal. Ses proches s'inquiètent. Sa fatigue permanente et ses douleurs prennent progressivement le pas sur sa vie sociale, professionnelle et amoureuse.
Virginie se sent désemparée, coupée du reste du monde. Jusqu'à tomber dans la dépendance aux médecines alternatives. Pourtant, elle continue d'y croire. Elle se passionne pour l'écriture et entame même une carrière de journaliste chez Ouest-France, à Caen.
Pour quelques temps seulement. Ses douleurs reprennent de plus belle. Mais un jour, un événement qu'elle associe à "un miracle" se produit. Un médecin lui diagnostique une endométriose et l'opère pour lui retirer les nombreux nodules qui se sont formés autour de ses organes. Elle peut enfin mettre des mots sur ses maux.
Aujourd'hui, vivre avec la maladie reste éprouvant. Mais Virginie se sent comprise, entendue, prise en compte. Elle vit à nouveau dans sa région natale, la Corrèze, où elle anime des ateliers d'écriture. Elle échange régulièrement avec des associations et souhaite sensibiliser les jeunes femmes à l'endométriose.
C'est dans cette optique qu'elle a écrit son livre Des Barbelés dans mon corps, qui paraîtra le mercredi 13 février aux Éditions du Rocher. Rencontre.
Virginie Durant : Je me suis replongée dans les situations les plus fortes et les plus marquantes de ma vie. "Retourner" dans les années de mon adolescence a été le plus difficile, car j'ai vraiment dû faire travailler ma mémoire.
À un moment donné, quand j'ai écrit ce qu'il s'est passé en Bourgogne, où on a voulu me faire subir un curetage pour une fausse-couche alors que je n'étais pas enceinte, ça m'a libérée. Pendant un mois, j'ai écrit tous les jours, de 5 à 8 heures. Je ressentais le besoin urgent de tout faire sortir.
Au début, c'est mon rédacteur en chef de Ouest-France qui m'a suggéré d'écrire un livre sur ma maladie. Je me suis dit : 'non pas la peine, l'endométriose, on en parle déjà. Mais quelques temps plus tard, un médecin de la sécurité sociale m'a appelée pour me dire 'Madame Durant, vous ne voulez pas travailler parce que vous avez vos règles.'
Cette phrase assassine m'a fait l'effet d'un électrochoc. Je me suis sentie comme une bombe à retardement. Là, j'ai compris qu'en fait j''avais beaucoup de choses à dire.
En 2017, j'ai couché sur papier tout ce que je ressentais, beaucoup de haine je dois l'avouer. Ensuite, l'éditrice des éditions du Rocher m'a contactée et à partir de là on a commencé à travailler ensemble. Elle m'a beaucoup guidée dans l'écriture. J'ai commencé en janvier 2018, jusqu'en mai 2018 et j'ai ajouté les écrits que j'avais faits avant.
V.D : Je me sens apaisée. J'ai écrit à la lumière de mon diagnostic, ce qui m'a fait réaliser à quel point ce que j'ai vécu était anormal. Mais cela m'a aussi aidé à faire la paix avec mon corps, à le comprendre et à poser un regard bienveillant sur moi.
Grâce au chirurgien qui m'a diagnostiquée et opérée et qui était extrêmement bienveillant, j'ai retrouvé confiance. Aujourd'hui, je suis suivie par une gynécologue, qui 'entend' mes douleurs et reconnaît mes symptômes.
Parfois, je me sens guérie, même si cette maladie est récidivante, car je sais qu'on m'écoutera. C'est ma plus grande liberté.
V.D : Je ressens toujours une grande fatigue au quotidien et j'ai perdu beaucoup de poids. Je ne peux par exemple pas me relever toute seule quand je m'accroupis pour mettre mes chaussures car je n'ai pas la force physique nécessaire. Mais parfois, j'arrive à préparer un plat toute seule. Même si je ne peux pas forcément faire la vaisselle après, au moins je sens que je progresse un peu.
Ma vie sociale est minime. J'ai des ami·es, mais je les vois rarement. J'ai envie de les voir, mais je sais que je ne vais pas tenir longtemps. Je suis retournée vivre chez mes parents et heureusement que je peux compter sur eux. J'ai aussi renoué des liens forts avec ma cousine. Elle a montré beaucoup d'affection pour moi, le simple fait de savoir qu'elle me comprend me fait chaud au coeur.
Sur le plan professionnel, je consacre actuellement toute mon énergie à la promotion du livre mais j'espère ensuite pouvoir reprendre mes ateliers d'écriture.
V.D : L'écriture m'a beaucoup aidée, heureusement. Mais c'est vrai que les absences au travail sont difficiles à accepter. De manière générale, les gens ne savent pas faire avec la maladie. Ça peut réveiller des angoisses chez les autres, des mauvais souvenirs.
J'ai aussi essuyés des jugements sur le fait que je suis une femme et donc que mes problèmes sont 'typiquement féminins'. Très violent.
V.D : Je n'ai pas eu mes règles pendant deux ans. Au début, je le vivais bien mais au bout d'un moment, je voulais qu'elles reviennent. Cela peut sembler étrange, mais j'ai retrouvé une sorte de vitalité depuis que j'ai à nouveau mes règles, et un bien-être psychologique aussi.
Avec le recul, je me rends compte que les médecins ne sont absolument pas formés pour traiter l'endométriose. Il y a une confusion entre les symptômes prémenstruels et les douleurs de la maladie. Maintenant, je sais faire la différence.
V.D : Je rencontre beaucoup d'associations spécialisées, avec qui j'échange. Après la sortie du livre, j'aimerais lancer un blog destiné à l'endométriose, mais aussi à la santé des femmes en général.
J'ai remarqué qu'il y a encore beaucoup de manquements dans ce domaine. Et je suis absolument convaincue qu'il pourrait y avoir de grands progrès si on arrêtait de juger les femmes.
V.D : Je lui dirais de ne pas accepter l'humiliation médicale. De prendre conscience qu'elle a réellement mal et de chercher, même s'il faut changer de médecin, jusqu'à ce qu'elle tombe sur celui·celle qui l'écoute, qui l'entende et qui lui permettra de se sentir mieux. Ce n'est pas à elle de se remettre en question.
J'aurais surtout envie de dire à toutes les femmes qui souffrent d'endométriose de se montrer bienveillantes envers elles-mêmes, de prendre bien soin de leur corps et de s'écouter."
Des Barbelés dans mon corps, Virginie Durant
Parution le 13 février aux Éditions du Rocher, 16,90 euros