C'en est fini d'être des femmes de l'ombre. En Espagne, les femmes de ménage haussent la voix et sortent dans la rue. Devant les hôtels, plus précisément. Cela fait cinq ans que le collectif Las Kellys s'active - d'abord sous la forme d'un groupe Facebook, puis d'une association - pour révéler au grand jour la réalité d'une profession qui, comme tout ce qui a trait aux travailleuses domestiques, est bien trop souvent synonyme de conditions abusives de travail. En 2017, elles se sont directement rendues au Parlement européen afin de clamer leur cause. L'an dernier, elles rencontraient le Premier ministre Mariano Rajoy, puis le ministre du Tourisme et le ministre adjoint. Les Kellys ne comptent pas lâcher le gouvernement.
Las Kellys est une contraction de l'espagnol "las que limpian": "celles qui nettoient". En Espagne, elles sont plus de 150 000 à offrir leurs services sans compter leurs heures sup'. En totale sous-traitance. A s'occuper de vingt-cinq chambres par jour. Quatre lits par chambre, trois euros de rémunération chacune. Afin de subvenir à leurs besoins, plusieurs d'entre elles alternent les hôtels. C'est cette extrême précarité que dénonce la femme de ménage madrilène - et militante - Angela Munoz du côté de The Local Spain.
"On travaille dans des conditions qui ne sont pas dignes du vingt-et-unième siècle, il y a toujours des femmes qui récurent le sol à genoux", fustige la travailleuse, au sein d'une société où les femmes gagnent 15% de moins que leurs homologues masculins. Les inégalités salariales n'est pas le moindre des combats mené par Las Kellys. Myriam Barros, l'une des porte-paroles du mouvement, ne se prive pas de dénoncer une crainte constante (celle du renvoi, en cas de maladie) mais aussi les cas de licenciement abusifs, émanant d'établissements qui préfèrent désormais confier le travail "à des entreprises multiservices". De la main d'oeuvre à moindre coût et une barrière de plus imposée à toutes celles "qui nettoient plus de quatre-cent chambres par mois pour huit-cent euros net", dénonce l'employée quadragénaire.
Vêtues de leurs t-shirts verts, les Kellys sensibilisent les clients sur les réseaux sociaux ("renseignez-vous avant de réserver") et épinglent les hôtels suspectés d'exploitation. Bon gré mal gré, elles parviennent à faire remonter l'info jusqu'à l'inspection du travail. Résultat ? "Huit des hôtels que nous avions dénoncés cet hiver ont dû nous donner deux jours de repos hebdomadaires au lieu d'un", se réjouit Myriam Barros, récemment couronnée par le salon international du tourisme de Berlin dans la catégorie "Droits de l'homme". Malgré l'absence de mesures gouvernementales, celle-ci s'en doute désormais : "les hôtels ont un peur [d'elles]". Un anonyme interrogé par The Local Spain l'affirme tout sourire : les Kellys sont "des guerrières". C'est tout du moins ce que suggère ce joli tacle - plutôt sanguin - décoché sur Twitter, à l'encontre d'un employeur abusif : "devrions-nous acheter un lance-pierre ou un lance-flammes ?".
Mais la militante ibérique sait surtout que son combat n'a rien de local. En France également, les femmes de chambre manifestent au devant de Matignon pour faire entendre leurs droits auprès de la secrétaire d'État à l'Égalité femmes-hommes. Les motifs d'indignation sont les mêmes : sous-traitance, surcharge de travail et fragilité sociale. Le mépris des clients et des entreprises n'a que suffisamment duré pour les guerrières de l'hôtellerie.