Les 100 femmes de l'année. C'est ce que nous présente le site de la BBC, le temps d'un classement évidemment subjectif mais inspirant à souhait intitulé "BBC 100 Women 2019". Se côtoient figures emblématiques (la footballeuse féministe Megan Rapinoe, la jeune militante écologiste Greta Thunberg, la députée démocrate Alexandria Ocasio-Cortez) et personnalités stylées qui mériteraient bien plus d'éclairage. Parmi elles, l'experte en égalité des sexes Subhalakshmi Nandi, la chanteuse algérienne engagée Raja Meziane ou encore Yumi Ishikawa, l'instigatrice du mouvement de protestation #kutoo au Japon. Sans oublier toutes ces artistes qui font la mode autrement. Et c'est ainsi que se présente l'impressionnante Ashcharya Peiris.
Non contente d'être l'une des femmes les plus influentes selon le média britannique, Ashcharya Peiris est une créatrice de mode sri-lankaise très réputée. Et autant dire que son histoire force le respect. Car elle n'a pas toujours connu la sphère fashion. Dans une autre vie, Nayana Ascharya Peiris - de son nom complet - travaillait dans une banque. Mais en 2000, un événement majeur bouleverse son existence : une bombe la rend aveugle. Et c'est avec cet handicap qu'elle investira le monde de la création textile.
C'est le Sunday Times qui revient sur ce véritable "parcours de combattante". En mars 2000, Nayana Ascharya Peiris est encore vendeuse à la banque HSBC quand elle est victime d'un attentat à la bombe. Cette tragédie terroriste cause la mort de 21 personnes et en blesse 46 autres. La jeune femme de 20 ans, de son côté, conduisait sa voiture lorsque ce sanglant événement a eu lieu. Des éclats d'obus ont déchiré son corps et l'impact a eu un effet considérable sur son nerf optique. Elle est amenée d'urgence à l'hôpital général de Colombo, la capitale du Sri-Lanka, et met trois jours à reprendre conscience. Lorsqu'elle émerge enfin, les médecins lui annoncent la triste nouvelle : elle ne retrouvera plus jamais la vue.
Et rares sont alors les sources de réconfort. Sa famille l'abandonne. Son petit-ami la quitte. Et elle perd son job. Des semaines durant, elle a l'impression d'être un fardeau. Qu'à cela ne tienne, cette espèce de fatalité n'aura pas raison d'elle. Contre toute attente, Ascharya Peiris reprend espoir. Se reconstruit peu à peu. Et décide de réaliser son rêve de toujours : devenir designeuse. Elle finit alors par appeler la créatrice de mode influente Zainab Ammarah, à la tête de Up & Coming Fashion Designer, un concours de référence au Sri-Lanka. En 2014, elle parvient à l'intégrer grâce à ses créations. Jusqu'à atteindre le stade des demi-finales puis de la finale...
Etre finaliste à ce concours de styliste est déjà une belle victoire. Il faut dire que, pour composer ses oeuvres, c'est tout un travail d'orfèvre qui se met en place. La créatrice décrit à ses tailleurs et couturières les motifs extrêmement précis qu'elle imagine dans sa tête. Et compte sur eux pour comprendre "sa vision", comme elle le dit. Et quand certains jouent de son handicap visuel pour n'en faire qu'à leur tête, explique le Sunday Observer, elle n'hésite pas à être ferme. "Il le faut parfois, pour ne pas être manipulée", dit-elle.
Face aux interrogations de ceux et celles qui sont ses yeux, "ses réponses laissent inévitablement place à l'imagination", reconnaît le Daily Mirror. La styliste ne peut jamais tout à fait savoir si les couleurs sont assorties comme elle le souhaite où si les motifs "fonctionnent" dans leur globalité. Mais tout est dans son esprit, bien placé. Ultra-concentrée et soucieuse du moindre détail, "elle passe des heures à habiller un modèle dans sa tête, bien avant que l'aiguille ne rencontre le tissu", remarque le média.
Il faut dire que pour cette artiste, ce n'est pas juste une histoire de création textile, mais la preuve d'un espoir et d'un "après". Autour d'elle, les gens lui demandent, effarés, si elle est "vraiment aveugle". Et alors que ses productions sont saluées sur le podium du Up & Coming Fashion Designer de 2014, où elle reçoit le prix du designer le plus impliqué, elle affirme, fière, que "la pitié n'est pas une qualification". D'ailleurs, au sein de ce concours, elle a toujours été traitée comme les autres participantes.
Deux ans après ce succès, sa marque Christiana Glory figure carrément à la Fashion Week de Ceylan. De quoi rendre d'autant plus optimiste cette styliste qui, aujourd'hui encore, ne cesse de croire qu'un jour, elle retrouvera la vue. "Je marcherai alors de Colombo à Negombo (une ville de la côte ouest du Sri Lanka, ndlr). Je ne cesserai pas de regarder autour de moi. Je reverrai des arbres", décrit-elle sereinement au Daily Mirror. En attendant, cela fait un an qu'elle partage son expérience aux citoyennes, enfants et ouvriers sri-lankais en animant des conférences à travers le pays. Elle y raconte les épreuves qu'elle a du affronter pour devenir ce qu'elle est. Comme ce concours où elle a du "rivaliser avec des designers plus qualifiés".
En conclusion de ces sortes de TedX locaux, elle débat toujours avec son public. Et elle aide ces anonymes à planifier leur avenir. En écoutant leurs attentes et leurs rêves. Car c'est important, les rêves. Au sein d'une sphère fashion pas si inclusive que cela, la trentenaire prouve que tout est possible. Et à celles et ceux qui en doutent, elle le dit encore : "Je ne suis jamais allée à une université ou et je n'ai jamais aucune formation académique de designer : je suis simplement née avec ce talent". A l'écouter, toutes et tous devraient partager cette conviction intime.
"Je crois personnellement que les gens naissent tous avec des talents incroyables [...] Mais nous nous concentrons sur le problème sans nous focaliser sur les solutions", analyse-t-elle en ce sens au Sunday Observer. Pour Nayana Ascharya Peiris, il est nécessaire d'encourager les plus jeunes à se libérer de ce poids. En leur rappelant une chose : "La vie est un festin continu". Et son histoire de vie revigorante en est la preuve.