C'est un titre qui sonnerait presque comme une menace. No Panic No Pain est la dernière mixtape de la rappeuse britannique Flohio. Un opus qui synthétise en une demie heure le style de la jeune artiste : hargneux, électro, rythmé comme si la musicienne était une boxeuse sur un ring. Les punchlines font office d'uppercuts.
Et la presse ne s'y est pas trompée. Le prestigieux magazine musical Pitchfork voit en l'opus une suite de "véritables éclats", voire même "un test d'endurance" déguisé en album, référence au souffle bien tendu de l'interprète. Le Guardian applaudit son "flow rapide" et son "travail ambitieux". On le devine, se plonger dans les sons de Flohio est une expérience sensorielle. Son débit qui cogne et ses instrus entêtantes nous obsèdent.
Ils obsèdent tout autant le magazine de mode Dazed, qui voit en la jeune femme de 26 ans une future icône "aux rimes transcendantes". A raison ? Portrait d'une inclassable.
On sait finalement peu de choses de Flohio : l'artiste décoche des infos comme autant ses lyrics, de manière parcellaire et concise. Sans fioritures. Funmi Ohiosumah de son vrai nom est née au Nigéria, à Lagos plus précisément, mais a passé le plus clair de son enfance à Bermondsey, au sud-est de Londres. Comme nous l'apprend la revue Crack Magazine, son père pilote était souvent absent, sa mère, qui travaillait la journée, également, et sa soeur en pensionnat.
Très vite, la musique est donc devenue pour la jeune fille une sorte de confidente et d'échappatoire. Les albums de Lil Wayne par exemple, l'un des rappeurs les plus salués du début des années 2000. A neuf ans, la fangirl regarde déjà ses clips, pourtant loin d'être tout public. Au même âge, elle découvre les créations du rappeur 50 Cent mais aussi de l'iconique Aaliyah, la regrettée chanteuse RnB.
Quatre ans plus tard, Funmi écrit déjà des couplets dans son coin. Mais il faudra encore attendre dix ans pour que celle qui ne s'appelle pas encore Flohio se lance à fond dans sa passion et balance ses prods. En 2015, la jeune femme fait ses premières armes en rejoignant le collectif TruLuvCru. L'année suivante et au bout de quelques singles sort enfin son premier EP, Nowhere Near, album qui témoigne déjà de sa vivacité.
Mais c'est surtout en 2018, lorsque débarque dans les bacs Wild Yout, son deuxième opus, que Flohio achève de convaincre public et critique. Tout s'accélère. L'exigeant The Guardian salue son "choix alléchant de productions, mélangeant plusieurs genres musicaux", et la variété "de rythmes expérimentaux" qu'elle propose.
Et dans le magazine de mode Vogue, la mannequin Naomi Campbell la cite quant à elle comme l'une des "10 femmes qui feront l'avenir". Excusez du peu. Mais malgré toute cette emphase, l'artiste garde les pieds sur terre, et va jusqu'à conserver son job alimentaire - un taf de graphiste au sein du label musical Ninja Tunes. Ce n'est que récemment qu'elle l'a abandonné, comme une super-héroïne qui assumerait enfin ses pouvoirs.
Ce geste empouvoirant, elle l'assumait d'ailleurs dès le petit pitch en forme d'autoportrait fourni à Vogue : "Je suis une femme MC [Master of Ceremony, ndrl] - et quand les gens entendent cela, ils ont forcément une idée préconçue de votre apparence, votre humeur... Mais en vérité, il n'y a pas de règles pour être une femme et pour être géniale. Le genre n'est pas un facteur décisif. Soyez géniale, c'est tout".
Un adage qui lui va bien : un an après la sortie de Wild Yout, la BBC l'érige dans son classement select, celui des révélations de 2019.
Et comme tous les super-héros, Funmi Ohiosumah a un pseudo. Pourquoi ce nom de scène ? Simple, on peut y voir une contraction de ses prénom et nom d'origine. Mais "Flohio" est également un renvoi au lexique du rap. Car le "flow", cette rythmique de la voix qui donne tout son tempo aux sons, la Londonienne le maîtrise à la perfection. Chez elle, l'humeur est à l'agitation, à la vitesse, à la rage libérée, comme la déflagration d'une arme à feu. Depuis son tout premier EP, Flohio a le flow rageur et c'est ce mood vénèr qui réjouit tant.
Et pour accompagner ce rythme tour à tour lancinant et ravageur, quoi de mieux que la musique électronique ? Loin des samples traditionnels, la rappeuse s'entoure de musiciens électros comme le duo berlinois Modeselektor pour imaginer ses instrus. Tout cela confère à son univers sonore des vibrations futuristes. Et, fort logiquement, ce petit quelque chose d'électrisant qui traverse le moindre de ses morceaux.
Morceaux hybrides, où résonnent tout à la fois l'agressivité de la techno et les codes du hip hop, avec des soupçons de house music.
C'est pour cette énergie de Flohio est applaudie, à juste titre – difficile d'ignorer cette frénésie badass. Il faut dire que la jeune femme entretient un rapport viscéral à la musique.
A Crack Magazine, elle raconte : "La musique m'a forcé à avoir confiance en moi, même devant un public. Vous ne pouvez pas vraiment vous préparer à l'expérience live, vous n'êtes jamais sûre que [la foule] suivra. C'est comme être jetée dans des eaux infestées de requins tout en étant blessée – le public peut sentir ce sang à des kilomètres de distance".
Dans ses performances, tout est toujours une question d'adrénaline.
Et la suite de l'histoire ? Elle est prometteuse. En ce début 2021, Flohio a épaté son monde en délivrant une performance sportive de son morceau Flash pour Colors, la chaîne YouTube aux cinq millions d'abonnés. Chaîne au cou, tresses et look streetswear, elle y rappe comme deux. Dans l'espace commentaires, auditeurs et auditrices saluent "son énergie folle" et sa "dinguerie", voient en elle "l'une des meilleures rappeuses du Royaume-Uni" ou encore... "une tueuse". Tout simplement.
On pourrait recycler les mêmes qualitatifs pour désigner sa mixtape No Panic No Pain, mais aussi les portraits qui ornent son compte Instagram. La rappeuse y pose avec assurance et détachement, consciente de sa propension à tout enflammer l'espace d'un simple freestyle. C'est dire si l'on attend déjà ses futurs éclats comme la suite d'un best-seller.
"Ma musique est un moyen de raconter des histoires, un peu comme un romancier. Comme la plupart des écrivains, j'aime avoir recours à la fiction, me mettre à la place d'autres personnes. Je me pose souvent cette question : 'Qu'est-ce que je ressentirais, si j'étais à la place de mes amis ou de ma mère ?'. L'idée, c'est de raconter des histoires depuis mon point de vue mais aussi celui des gens qui m'entourent, de dépeindre ma vie à l'heure actuelle... ou d'imaginer ce qu'elle pourrait être demain", explique d'ailleurs la principale concernée au magazine Antidote.
Une inspiration qui, à son image, ne tient pas en place.