En dévoilant la veille de la Journée internationale des droits des femmes sa série de quatorze Barbie inspirantes, Mattel comptait sans doute marquer un grand coup en se rachetant une image féministe. Longtemps considérée comme le jouet sexiste par excellence, véhiculant des normes physiques stéréotypées et génératrices de complexes chez les fillettes, Barbie a décidé il y a une poignée d'année de faire évoluer son image pour être davantage en adéquation avec les attentes de notre société.
Embrassant la philosophie body positive, Mattel avait dévoilé en 2016 trois nouvelles silhouettes plus réalistes et plus inclusives. C'est dans cette même idée que le fabricant de poupées a annoncé le 8 mars commercialiser quatorze nouvelle poupées à l'effigie d'icônes : l'ingénieure de la NASA Katherine Johnson, la cheffe étoilée Hélène Darroze, l'aviatrice Amelia Earhart, l'escrimeuse Ibtihaj Muhammad.
Il y a cependant une Barbie qui pose problème : celle reprenant les traits de l'artiste mexicaine Frida Kahlo.
Décrite par Mattel comme "une célèbre artiste et activiste, symbole de force", Frida Kahlo était considérée comme l'une des plus grandes artistes peintres du XXe siècle. Épouse du peintre Diego Rivera, elle a réalisé des autoportraits reconnaissables au premier coup d'oeil, et qui ont beaucoup inspiré les surréalistes français, à commencer par André Breton. Victime d'un accident de bus à l'âge de 19 ans qui la laisseront handicapée, elle s'est formée elle-même à la peinture durant ses longs mois de convalescence.
Or, nulle trace du handicap de Frida Kahlo – par ailleurs atteinte d'une poliomyélite depuis l'âge de six ans – sur la poupée Mattel. Comme les autres Barbie, celle à l'effigie de l'artiste mexicaine est dotée d'un corps standardisé, qui ne laisse apparaître ni la canne qui a aidé Frida Kahlo à marcher après son accident, si le corset qu'elle était obligée de porter. Son célèbre mono-sourcil a lui aussi disparu, remplacé par une pilosité faciale plus "féminine" et donc certainement plus bankable pour Mattel. Ce qui a conduit une journaliste américaine du magazine Allure à considérer que la marque avait "cédé à certaines pressions sociétales sexistes".
"J'aurais voulu que la poupée ait davantage les traits de Frida, pas cette poupée aux yeux clairs. La poupée devrait représenter tout ce qu'incarnait ma tante : sa force", a expliqué à l'AFP Mara Romeo, la nièce de l'artiste.
Car famille de Frida Kahlo n'a pas non plus apprécié l'hommage de Mattel. Dans un communiqué, les descendants de la peinte mexicaine ont contesté le droit de la société californienne de commercialiser la poupée. "Mara Romeo, petite-nièce de Frida Kahlo, est la seule détentrice des droits sur l'image de l'illustre peintre mexicaine Frida Kahlo", affirme le communiqué qui insiste sur le fait que Mattel "n'a pas l'autorisation d'utiliser l'image de Frida Kahlo" et que la famille prendra "toutes les mesures" nécessaires contre la forme si celle-ci ne retire pas la poupée du marché.
Or, la commercialisation de la Barbie Frida Kahlo a mis en lumière une polémique autour des droits liés au nom de Frida Kahlo. Si la nièce de l'artiste affirme en être la détentrice, c'est aussi le cas de la Frida Kahlo Corporation, une société basée à Miami et qui a accordé à Mattel le droit de les exploiter pour commercialiser une poupée. "Mattel a travaillé en étroite collaboration avec Frida Kahlo Corporation, qui détient tous les droits liés au nom et à l'identité de Frida Kahlo, pour la création de cette poupée", assure la société dans un communiqué.
Selon l'avocat de Mara Romeo, Me Pablo Sangri, la Frida Kahlo Corporation, créée en 2005 en association avec la société Casablanca Distributors, n'a pas respecté la clause du contrat qui indiquait que les proches de l'artiste devaient être informés de chaque usage fait de son image. Contre la volonté de ses proches, le visage de Frida Kahlo s'est donc retrouvé sur des dizaines de produits n'ayant peu ou prou à voir avec elle, comme des sacs, des chaussures, du parfum ou de la tequila.
Dernière à avoir pris part à la polémique autour de la poupée Frida Kahlo, l'actrice mexicaine Salma Hayek, qui l'avait incarnée dans le biopic Frida en 2002.
Sur son compte Instagram, elle n'a pas caché sa déception de voir l'artiste transformée en jouet, même si ce dernier est censé inspirer les petites filles et les inciter à réaliser leurs rêves.
Elle regrette surtout que Mattel se soit permis de "retoucher" le visage de Frida Kahlo et de faire disparaître son mono-sourcil emblématique au nom d'absurdes critères esthétiques.
"#fridakahlo n'a jamais essayé d'être ou de ressembler à quelqu'un d'autre, elle a célébré sa singularité. Comment ont-ils pu la transformer en Barbie ...", a écrit l'actrice.