Lifestyle
Hélène Darroze : "Les femmes restent minoritaires dans l'univers de la cuisine"
Publié le 4 juin 2015 à 12:46
Par Charlotte Arce | Journaliste
Elle a fait ses armes dans le restaurant familial puis auprès d'Alain Ducasse avant de devenir cheffe de deux tables étoilées, l'une à Paris, l'autre à Londres. À 48 ans, Hélène Darroze vient d'être sacrée meilleure femme chef de 2015 par le jury du prestigieux Prix Veuve Clicquot. Nous l'avons rencontrée quelques jours avant qu'elle ne reçoive son prix à Londres.
Hélène Darroze a remporté le prix Veuve Clicquot 2015 Hélène Darroze a remporté le prix Veuve Clicquot 2015© World's 50 Best Restaurants
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Dans l'édition 2015 de "Top Chef ", elle s'est distinguée des autres membres du jury par sa bonne humeur inébranlable, sa soif de transmission et son exigence gastronomique. À 48 ans, la frenchie Hélène Darroze vient d'être sacrée meilleure femme chef de l'année 2015 par le jury du prix Veuve Clicquot. Sa cuisine à la fois authentique, moderne et élégante a su charmer les 900 jurés, pour la plupart restaurateurs, critiques et rédacteurs gastronomiques issus du monde entier.


Il faut dire que le goût pour la cuisine, Hélène Darroze a ça dans le sang. Née dans une famille de gastronomes à Villeneuve-de-Marsan, dans le Sud-Ouest de la France, Hélène Darroze reçoit en 1995 les clés de Chez Darroze, l'auberge familiale avant d'ouvrir à seulement 32 ans son premier restaurant rue d'Assas, à Paris.


Aujourd'hui cheffe de deux grandes tables étoilées par le Guide Michelin, l'une à Londres, l'autre à Paris, Hélène Darroze poursuit sereinement son ascension. Celle qui est aussi maman de deux petites filles, Charlotte, 8 ans et Quiterie, 6 ans, a accepté de répondre à nos questions, quelques jours avant de recevoir son prix à Londres.

Terrafemina : Vous venez de remporter le prix Veuve Clicquot qui vous sacre Meilleure femme chef 2015. Que représente ce prix pour vous ?

Hélène Darroze : Ça représente tellement de choses ! D'abord l'accomplissement de quinze ans de carrière et de dur travail. Mais aussi une merveilleuse récompense pour deux équipes fabuleuses, une à Londres et une à Paris et qui travaillent à mes côtés tous les jours. Parce que ce n'est pas un prix que je prends personnellement : il récompense aussi mes équipes car elles travaillent chaque jour d'arrache-pied. Et sans elles, je ne serai pas là.

Tf : Trouvez-vous pertinent de distinguer avec un prix à part le travail des femmes chefs ?

C'est une réalité : il y a très, très peu de femmes dans les cuisines. Le Prix Veuve Clicquot a le mérite de les mettre en valeur, d'estimer leur travail et peut-être aussi de créer des passions. J'aimerais que ce prix inspire d'autres femmes. Je trouve très bien que l'on puisse distinguer le travail accompli par cette minorité – car hélas, les femmes restent une minorité dans l'univers de la cuisine.

Tf : Qu'est-ce qui les distingue de leurs homologues masculins ?

Je pense sincèrement que l'on cuisine pareil que les hommes, même si l'on n'est pas fichu pareil et que l'on ressent des émotions différentes. Car la cuisine, c'est quelque chose qui touche avant tout aux émotions. Je pense que nous, les femmes, on est plus à l'écoute de nous-mêmes, on cuisine davantage à l'instinct, on écoute nos émotions. Les hommes, eux, vont d'abord chercher ce qu'ils ont envie de montrer et sont beaucoup plus dans la technique. C'est donc une démarche complètement différente de nous. Bien sûr, la démarche masculine est aussi très respectable et amène beaucoup de réussite !

Tf : On entend souvent le terme de "cuisine féminine". Trouvez-vous que les femmes ont une manière différente des hommes de cuisiner ?

Je pense surtout qu'arrivés à un certain niveau, on fait tous une cuisine d'auteur. Une cuisine qui parle de nous, qui nous ressemble. Alors évidemment quand on est une femme, notre cuisine s'en ressent, c'est indéniable. Mais personnellement, je ne parle pas de cuisine féminine ou masculine, je parle de cuisine d'auteur. Et ensuite selon la personnalité et le genre, elle est forcément différente.

Tf : Le milieu de la cuisine est très masculin, parfois sexiste. Avez-vous souffert d'être une femme dans votre parcours ?

Je suis très mauvaise cliente pour parler de ça, car dans toute ma carrière, je ne me suis jamais sentie mise à l'écart en tant que femme. Je ne peux pas parler ni de machisme, ni de misogynie car ce sont des choses que je n'ai pas connues. Je sais bien que tout le monde n'est pas d'accord avec moi. Il me suffit de discuter avec certaines de mes collègues pour savoir que le sexisme en cuisine existe. Mais c'est vrai qu'à titre personnel, je ne l'ai jamais connu. Quand on me demande quels conseils je donnerais aujourd'hui aux femmes dans les cuisines, j'explique j'ai toujours reconnu que j'étais une femme, je n'ai jamais voulu être un "mec", j'ai travaillé comme une femme, j'ai cuisiné comme une femme, je me suis comportée comme une femme, et je n'ai jamais voulu être autre chose qu'une femme.

Tf: Quelle place accordez-vous aux femmes dans vos restaurants ?

Grande ! Actuellement à Londres, mon équipe ne compte qu'une seule jeune femme, qui est avec moi depuis un certain temps après avoir travaillé à mes côtés à Paris. Si j'élargis à la pâtisserie, il y a quatre femmes sur une équipe de quatorze. Ce n'est pas assez évidemment, j'aimerais avoir une brigade où s'exerce la parité. À Paris c'est pareil, il y a quatre femmes sur douze. J'aimerais en avoir un peu plus, la porte est d'ailleurs grande ouverte. Mais aujourd'hui malheureusement, ce n'est pas le cas !

Tf : Comment expliquez-vous que si peu de femmes accèdent aujourd'hui encore au poste de chef ?

Oh c'est tout simple : c'est qu'à un moment donné, il y a des choix de femmes à faire, des choix d'épouse et de mère. C'est un véritable dilemme. Je dis toujours qu'à l'âge où j'ai monté mon restaurant, s'il y avait eu un homme dans ma vie assez important pour que j'aie eu envie de fonder une famille, je n'aurais peut-être pas fait le choix que j'ai fait et je ne serais peut-être pas là aujourd'hui. Car lorsqu'on veut devenir chef, il faut vraiment se donner à 100% dans son travail. Or, pour beaucoup de femmes, cela coïncide avec le moment où elles construisent leur vie de couple et aspirent à devenir mères. C'est un choix difficile à faire, et beaucoup de femmes très talentueuses décident finalement de privilégier un temps leur vie familiale.

Tf : Vous êtes maman de deux petite filles. Comment parvenez-vous à concilier votre vie professionnelle, qu'on imagine très chargée, et votre vie familiale ?

Il faut savoir que je suis devenue maman sur le tard, à quarante ans. Heureusement, j'ai pu déléguer à des hommes qui étaient avec moi depuis un certain temps et qui avaient compris ma philosophie. Ils ont donc pu prendre le relais quand j'ai eu besoin de temps pour ma famille.


J'ai aussi attendu d'être maman à un moment où je pouvais me le permettre financièrement. Parce que c'est vrai que devenir maman pour une femme chef, avec les heures qu'on fait, ça demande une sacrée organisation ! À la maison, j'ai deux nounous qui m'aident en permanence et se relaient. Tout ça a un coût, et financièrement, je ne pouvais tout simplement pas me le permettre avant. Tout réside dans l'organisation et dans les gens qui sont autour de vous, tant au travail qu'à la maison.

Tf : Cette année, le grand public vous a découverte en tant que jurée de "Top Chef". Comment avez-vous vécu cette expérience ?

J'ai vécu ça avec beaucoup de bonheur, je me suis beaucoup amusée ! Et en même temps, ça a été une étape un peu particulière dans ma carrière. Faire "Top Chef", c'était apprendre à faire mon métier autrement. Avec Philippe Etchebest, Michel Sarran et Jean-François Piège, nous n'étions pas seulement là pour noter et sanctionner, mais aussi pour jouer le rôle de professeurs, pour transmettre notre savoir-faire, pour le partager avec les candidats.


Tf : Prête à recommencer l'an prochain ?

On verra ! (rires) C'est encore trop tôt pour en parler...

Tf : Vos filles ont été jurées sur l'une des épreuves de "Top Chef". Leur parlez-vous de votre travail ?

J'ai la chance de diriger deux établissements où elles peuvent venir quand elles veulent. Elles sont confrontées à ce monde-là depuis qu'elles sont toutes petites, elles ont grandi là-dedans. Pour elles, c'est un milieu qui leur est familier.

Tf : Cuisinez-vous avec elles ?

Bien-sûr ! De la pâtisserie surtout, c'est ce qu'elles préfèrent.

Tf : 3 étoiles au Guide Michelin, jurée de "Top Chef", prix Veuve Clicquot... Que peut-on vous souhaiter de plus pour 2015 ?

D'avoir cinq étoiles, une de plus à Paris, une de plus à Londres ! (rires) Ce serait vraiment un accomplissement.

Hélène Darroze
4, Rue d'Assas
75006 Paris
+33 1 42 22 00 11
helenedarroze.com

Hélène Darroze at the Connaught
Carlos Place, Mayfair
London W1K 2AL
+44 20 7499 7070
the-connaught.co.uk

Mots clés
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