C'est parfois dans les épreuves les plus douloureuses que l'on trouve la force de se recontruire et de se dépasser pour aller encore plus loin. Cécile Pasquinelli en sait quelque chose. En 2010, cette ancienne chef de projet dans la finance a découvert avec stupeur une grosseur dans l'un de ses seins. Après plusieurs examens approfondis, le verdict tombe : cancer du sein.
S'ensuit pour cette hyperactive maman de trois filles, un protocole de soin très lourd qui abîme la féminité. "On perd ses cheveux, ses cils, ses sourcils, son sein parfois. Ça a été mon cas", nous confie Cécile Pasquinelli.
Fragilisée par la maladie, ébranlée dans sa féminité après avoir subi une mastectomie, la chef d'entreprise s'est aussi rapidement rendue compte que la jolie lingerie post-opératoire était quasiment inexistante. Vendue en pharmacie ou en orthopédie, elle ne propose ni beaucoup de choix, ni beaucoup de tailles aux femmes recherchant du confort. "Il y avait essentiellement une grande marque allemande, plus une autre mais qui n'est pas référencée dans toutes les orthopédies et les pharmacies, et c'est tout. Ce mono-lieu, cette mono-marque me renvoyaient à mon statut de malade. C'était pareil pour les maillots de bain. Je me suis dit que je ne devais pas être la seule à ne pas y trouver mon compte."
S'ensuit pour Cécile Pasquinelli une longue période de réflexion. Jusqu'ici épanouie au poste qu'elle occupait, la working mum sent que c'est le moment de se lancer. "J'ai été traitée pendant deux ans, j'ai eu le temps de ruminer mon truc, de chercher des solutions et de ne pas les trouver. Je me suis dit qu'il y avait certainement quelque chose à faire. Cela faisait dix-sept ans que j'étais dans un gros groupe. J'avais une jolie carrière, un joli poste. Et en même temps j'étais issue d'une famille d'entrepreneurs : mon mari est entrepreneurs, mes frères aussi. Je voyais la liberté qu'ils avaient, je les enviais malgré les contraintes. Pendant ma maladie, j'ai pris du recul, je me disais qu'il y avait un truc à faire."
Elle démissionne alors de son poste pour peaufiner son idée : celle de proposer de la lingerie confortable et élégante aux femmes portant une prothèse mammaire ou qui ont subi une reconstruction. Toujours en arrêt maladie, Cécile Pasquinelli court les salons pour dénicher styliste modéliste, fournisseurs et usines qui seraient prêts à la suivre dans cette aventure. "Cette période n'a pas été de tout repos, se rappelle-t-elle. J'ai d'abord trouvé une styliste modéliste qui m'a laissé tomber au bout de trois mois, puis une autre qui a monté un premier prototype de soutien-gorge à partir d'un croquis."
Début 2012, deux ans après qu'on lui a diagnostiqué un cancer du sein, Cécile Pasquinelli lance finalement Garance, sa marque de lingerie et de maillots de bain. Féminine et colorée, la griffe se veut à mille lieux de la lingerie traditionnellement proposée aux femmes opérées en faisant la part belle à la dentelle, au lycra ou au coton, que les modèles soient conçus avec ou sans armatures. Une ligne de maillots de bain et de vêtements de nuit complètent la collection, que Cécile Pasquinelli et son équipe renouvelle une fois par an en moyenne, sans compter les modèles très ponctuels proposés par la marque.
"Tous les modèles sont essayés sur des femmes opérées. Ce n'est pas anodin : il faut les trouver, qu'elles acceptent et qu'elles soient disponibles, explique la créatrice. Quand on peut, on les rencontre en amont pour comprendre ce qu'elles aimeraient et leurs retours sont aussi pris en considération. Par exemple, les armatures ont été retirées sur certains modèles et là, on envisage de les remettre pour des raisons esthétiques à partir du 95C. Ces retours sont essentiels pour savoir qu'on va dans la bonne direction."
D'abord distribuée principalement en pharmacie et en orthopédie, Garance a vite pris le risque de s'affranchir des codes de la lingerie "spéciale cancer". Il y a deux ans, Cécile Pasquinelli a ouvert un e-shop pour bousculer un peu l'offre sur Internet, encore trop rare. "C'est pratique pour les femmes qui vivent loin de Paris, affirme l'entrepreneuse. On passe beaucoup de temps à les conseiller par téléphone, on les guide, on leur explique comment mesurer leur taille de bonnet."
Garance bénéficie aussi depuis septembre 2016 d'une jolie boutique à Paris. Nichée au coeur du XIIIe arrondissement, elle accueille chaque semaine dans un cadre délicat des clientes à la recherche de jolie lingerie.
"Au départ, ce local a été pensé comme mon bureau et un espace distributeur, mais il est très vite devenu un showroom à la demande des clientes. J'ai voulu que la boutique soit très féminine, que rien ne renvoie à la maladie. Quand elles entrent dans la boutique, je veux que les femmes se sentent bien, non pas stigmatisées parce qu'elles ont un cancer."
Aider les femmes à retrouver confiance en elles, leur redonner goût aux jolis sous-vêtements, c'est aussi ça Garance. "Le cancer du sein est une maladie où l'on est prise en charge par le monde médical pendant tellement longtemps qu'on perd progressivement sa confiance en soi. On donne sa confiance à d'autres gens, c'est difficile de la regagner. La lingerie aide à cela. Ici, les femmes choisissent ce qu'elles aiment, elles redeviennent en quelque sorte maîtresse de leur corps. Cela fait partie du processus de reconstruction."
Déjà présente en ligne sur son e-shop et sur La Redoute, Garance compte désormais accroître sa renommée. Pour cela, la jeune marque va pouvoir compter sur le réseau de distribution de Monoprix, la première grande enseigne nationale à lui accorder sa confiance. Depuis début septembre, la griffe est en effet présente dans 6 magasins-tests. "Si cela fonctionne bien, Garance lingerie sera distribuée dans davantage de magasins dès le printemps 2018."
"J'aimerais aussi trouver de gros distributeurs à l'international, poursuit Cécile Pasquinelli. Notamment sur le marché américain, canadien, russe pour faire en sorte que la marque puisse servir à d'autres femmes. Car le cancer du sein est malheureusement une maladie universelle."
Hiver 2012 : lancement de Garance
Juin 2012 : Prix Rose de l'entrepreneuse
2015 : lancement du e-shop
Septembre 2016 : distribution chez Monoprix
Mûrir son projet. "Créer sa boîte nécessite un gros travail d'introspection. Si on a des doutes, il faut s'interroger sur leur origine avant de se lancer, comprendre ce qui bloque."
Bien s'entourer. "C'est important pour supporter les refus et se relever."
Sortir du cadre. "Il ne faut pas hésiter à trouver une solution qui n'était au départ pas prévue. C'est souvent ces idées-là qui s'avèrent être les meilleures."