Voilà qui devrait réjouir Donald Trump : Greta Thunberg vient d'être élue "personnalité de l'année" par le prestigieux magazine Time. En résulte une magnifique Une, où l'activiste de 16 ans semble contempler un avenir fait d'espoirs et de convictions. A ses pieds, des vagues, similaires aux remous qu'elle provoque à la moindre déclaration. Un joli symbole.
Fidèle à elle-même, la militante suédoise a commenté cette couverture sur les réseaux sociaux en mettant l'accent sur la ferveur de toutes celles et ceux qui se battent pour la protection de la planète. Une jeunesse engagée qui défrise les réacs à grands coups de "OK boomer".
Oui, cette Une du Time est déjà culte, mais elle masque une réalité qui fait vite déchanter. Car l'adolescente n'est pas seulement la plus jeune personne immortalisée par le magazine. Il s'agit également - et seulement ! - de la cinquième fois que la revue consacre une femme en "personnalité de l'année". Tout juste cinq fois en 90 ans, avouez que ça fait mal.
Il n'a pas fallu attendre longtemps pour que le Washington Post épingle cette représentation inégalitaire. En près d'un siècle de publications, les hommes ont été couronnés "personnalités de l'année" pas moins de 66 fois. Plus drôle encore, 21 "personnes de l'année" ne sont autres... que des entités non-humaines ou non-individuelles. Comme "l'ordinateur" en 1982 par exemple. Et de multiples groupes, mis en avant sans mention de genre, tels "les combattants de la liberté hongrois" (en 1956), les "scientifiques américains" (1960), les "lanceurs d'alerte" (en 2002)... Des collectifs qui squattent quatre fois plus l'affiche que la gent féminine.
Qui sont donc les quatre autres femmes en question ? La duchesse de Windsor Wallis Simpson en 1936. La reine Elizabeth II en 1952. Corazon Aquino, première femme à être devenue présidente des Philippines, en 1986. Et enfin, la chancelière allemande Angela Merkel en 2015. On peut bien sûr évoquer la première dame de la République de Chine Soong Mei-ling, nominée en 1937. Mais force est de constater que celle-ci a été élue "personnalité de l'année" en compagnie de son époux, Tchang Kaï-chek, le président de la République de Chine. Ce qui trouble un brin les données : Soong Mei-ling n'est pas LA personnalité de l'année, elle est avant tout "Madame"...
Tel que le rappelle encore le Washington Post, certaines personnalités féminines figuraient sur la liste des "gagnantes potentielles" de la personnalité de 2019, comme la star du football américain Megan Rapinoe, récemment sacrée Ballon d'Or et particulièrement remarquée cette année pour ses compétences sportives et son engagement politique salvateur. Or, si l'attaquante avait "remporté" cette Une, elle aurait été la première femme américaine élue "Person of the Year" en plus de 80 ans.
Mais le plus amusant reste certainement cette couverture de 1975, célébrant une personnalité pour le moins abstraite : "les femmes américaines". Si le magazine évoque alors (pêle-mêle) des figures historiques comme l'autrice Jill Conway, la Première dame des Etats-Unis Betty Ford ou encore la grande militante afro-américaine des droits civiques Barbara Jordan, avouez que l'on imagine mal un titre comme "les hommes américains".
Autant dire que ce palmarès ne brille pas par son potentiel féministe. Cependant, l'avancée est tout de même notable : à l'origine, le magazine Time ne couronnait pas "la personnalité de l'année" mais... "l'homme de l'année" (Man of the Year). C'est dire si l'on revient de loin. Raison de plus pour applaudir Greta Thunberg et s'amuser des réactions de ceux qui finiront, à n'en pas douter, Macho de l'année. Suivez mon regard.