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Homoparentalité : « fonder la filiation sur l'engagement parental »
Publié le 6 avril 2012 à 11:45
Par Marine Deffrennes
Le débat sur le droit à fonder une famille pour les couples homosexuels fait partie de ces questions clivantes entre la droite et la gauche. A 15 jours du premier tour de l’élection présidentielle, experts et élus se réunissent aujourd’hui à Evry pour les Rencontres nationales « adoption et homoparentalité ». Eclairage sur cet enjeu sociétal, éthique et politique avec Martine Gross, sociologue au CNRS et présidente d’honneur de l’Association des parents et futurs parents gays et lesbiens.
Homoparentalité : « fonder la filiation sur l'engagement parental » Homoparentalité : « fonder la filiation sur l'engagement parental »
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Terrafemina : Pourquoi focaliser cette journée sur l’homoparentalité autour du seul problème de l’adoption, les couples homosexuels étant aussi demandeurs d’un droit d’accès à l’assistance médicale à la procréation (AMP) ou à la gestation pour autrui ?

Martine Gross : En effet actuellement l’adoption n’est pas la modalité la plus choisie par les couples homosexuels pour devenir parents, étant donné la complexité des démarches et les difficultés d’obtention d’agrément, mais l’adoption reste le sujet central, puisque c’est seulement par l’adoption qu’on peut établir à l’heure actuelle la filiation entre un enfant et ses parents de même sexe. Pour l’instant la seule issue pour les couples homosexuels qui élèvent déjà un ou des enfants consiste à demander une « délégation de partage de l’autorité parentale », possible depuis la loi du 4 mars 2002 « si les circonstances l’exigent », ce qui signifie que cette décision est à l’appréciation du juge aux affaires familiales. En outre cette autorité parentale n’établit pas un lien de filiation, et le parent légal peut à tout moment faire cesser le partage, et priver l’enfant des liens qu’il a tissé avec son autre parent, notamment en cas de séparation. En cas de décès du parent légal, le partage de l’autorité cesse et les grands-parents peuvent s’opposer à ce qu’il reste avec le parent survivant qui n’a aucun droit. C’est pourquoi il faudrait une loi qui permette d’établir la filiation entre un enfant et le couple qui l’élève, par exemple en autorisant le parent non biologique, donc sans statut légal à l’adopter.

Tf. : Vers quelles solutions se tournent les couples homosexuels français qui veulent avoir un enfant ?

M. G. : Ils font les démarches d’AMP à l’étranger (insémination artificielle avec donneur pour les femmes, et gestation pour autrui pour les hommes, ndlr), ou choisissent la coparentalité : l’enfant est conçu par un homme et une femme qui n’ont pas de vie conjugale commune, mais vivent en couple avec une personne du même sexe, les deux couples se répartissent la garde et l’éducation de l’enfant. Un peu comme après la séparation d’un couple hétérosexuel où le père et la mère restent les parents de leurs enfants, sauf que dans la coparentalité homoparentale il n’y a pas eu de relation conjugale entre le père et la mère et donc pas de séparation ni de conflit. Mais dans la situation de coparentalité, la compagne de la mère et le compagnon du père, qui sont des parents de fait, n’ont aucun statut et aucun droit sur l’enfant.

Tf. : D’après un récent sondage, 51% des Français sont favorables à l’adoption pour les couples homosexuels, cette idée est-elle en train de s’ancrer dans les mentalités ?

M. G. : Depuis quinze ans, cette opinion ne cesse de gagner du terrain, la majorité s’est inversée et on envisage comme concevable de voir un enfant avec deux parents de même sexe. Le PACS a fait évoluer les mentalités vers la reconnaissance du couple homosexuel, mais c’est aussi la famille qui a évolué. Familles recomposées, enfants nés d’un don de gamètes, adoptions, un enfant sur deux né hors mariage : la diversité des configurations familiales se retrouve dans les familles homoparentales. On peut désormais se représenter le fait d’être un parent sans avoir donné la vie.

Tf. : Pourtant le cadre législatif est loin de s’assouplir pour les couples homosexuels qui veulent devenir parents. Les lois de bioéthique révisées en 2011 n’ont pas autorisé l’accès des homosexuels à l’AMP, et une partie de la société reste très opposée à l’homoparentalité. Comprenez-vous ces réticences ? La société saura-t-elle surpasser ce clivage de valeurs ?

M. G. : C’est une question de temps, les jeunes générations sont plus ouvertes sur la question, et si des lois finissent par passer, les mentalités évolueront d’autant plus vite, comme ce fut le cas pour le PACS. Selon moi, la révision des lois de bioéthique ne s’est pas attardée sur les homosexuels, et a été menée par des gens qui ne voulaient pas de changement. En conséquence, le débat n’a pas vraiment eu lieu sur l’ouverture des techniques d’AMP aux femmes célibataires et aux couples de lesbiennes.

Tf. : La jurisprudence, et notamment la Cour européenne des Droits de l’Homme, semble reconnaître de plus en plus les droits des homosexuels à faire famille. Comment la justice a-t-elle avancé sur ce sujet ?

M. G. : En janvier 2008, la Cour européenne a en effet condamné la France pour refus d’agrément au motif de l’orientation sexuelle, c’est-à-dire pour discrimination envers un couple homosexuel désirant adopter. Mais en mars 2012, deux femmes ont été déboutées dans leur plainte pour discrimination après qu’on ait refusé à l’une d’entre elles d’adopter l’enfant biologique de l’autre. La Cour européenne fait un pas en avant pour un pas en arrière, et ne se risque pas à des décisions trop progressistes de peur de ne plus être suivie par les états. En France, excepté pour le partage de l’autorité parentale pour lequel l’arrêt de la cour de cassation de 2006 l’autorisant dans le cadre d’un couple de même sexe, il n’y a pas vraiment de jurisprudence, mais des décisions isolées, qui font avancer les choses lorsqu’elles sont médiatisées.

Tf. : Les candidats à la présidentielle se sont-ils saisis de la question ? Que pensez-vous de leurs prises de position ?

M. G. : Eva Joly, Jean-Luc Mélenchon et François Hollande proposent de légaliser le mariage et l’adoption pour les homosexuels, François Bayrou est favorable à l’adoption mais souhaite que le mariage soit réservé à l’union d’un homme et d’une femme. Quant aux candidats de droite, ils se prononcent tous contre le mariage et l’adoption par les homosexuels. Je regrette qu’on ne parle que d’adoption et non pas d’AMP pour les femmes seules et les couples de femmes. Je regrette qu’aucun candidat ne propose un encadrement légal et éthique de la gestation pour autrui (GPA) – le recours à des « mères porteuses »-, ni la régularisation des enfants nés de GPA à l’étranger, pour lesquels la filiation n’est pas reconnue en France. Ne pas régulariser leur situation administrative, c’est choisir l’ordre social plutôt que l’intérêt des enfants. Selon moi, la véritable urgence législative est de réformer en profondeur le droit de la famille car le droit actuel est étriqué. Il faut fonder la filiation sur l’engagement parental plutôt que sur la procréation, distinguer clairement le lien biologique et le lien juridique.

Martine Gross est sociologue, auteure de « L’homoparentalité, les idées reçues » (Le cavalier bleu), « Qu’est-ce que l’homoparentalité ? » (Payot), et « Choisir la paternité gay » (éditions Erès).

Rencontre nationales « adoption et homoparentalité » le 6 avril 2012, au Génocentre d’Evry.

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Mots clés
Home parents enfants homosexualite parentalité
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