C'est un simple site Internet, qui s'intitule Pinkjobs.fr - les "jobs en rose". Une plateforme très banale, mais au concept plutôt insolite. Il s'énonce sans filtre dès la page d'accueil : "Recrutez une femme et faites des économies !". Sous le portrait d'une anonyme joviale, un slogan précise à l'adresse des patron·n·es : "Les femmes : de la main d'oeuvre de qualité et 23,7% moins chère". Car oui, puisque les inégalités salariales sont une réalité mathématique, pourquoi ne pas profiter de cette "offre promo" et faire des économies en embauchant plus de femmes ?
Le moins que l'on puisse dire, c'est que cette "proposition" a suscité la perplexité des internautes. Sur Twitter, les commentaires échaudés s'accumulent. "J'ai pris un coup de chaud, j'ai bondi, j'ai failli insulter ...", "Suis-je le seul à être choqué par cette startup ?! ", "J'ai bondi à la lecture de cet article sur #PinkJobs, une startup qui incite à embaucher des femmes plutôt que des hommes pour réduire les coûts de l'entreprise"... Joli bad buzz.
Sauf que, spoiler alert, tout cela n'était qu'une énorme farce, imaginée par Equally Work, une start-up qui cherche à en finir avec les inégalités au travail. Mais cette supercherie n'est pas si "énorme" que cela en vérité...
Derrière les rires (jaunes) s'immisce une vérité qui dérange. Rappelons qu'en France, l'écart entre salaires masculins et féminins est tel que, depuis le 5 novembre (à 16h47) et jusqu'à la fin de l'année, les femmes travailleront gratuitement. D'où le discours cynique - mais pas si incohérent - de PinkJobs, qui à l'adresse des employeurs promeut "l'esprit traditionnel" des entreprises et l'embauche des candidates "hautement qualifiées" suivant ce petit "bonus" : "Pas besoin de les augmenter ni les promouvoir".
Les profils qui s'accumulent forcent d'ailleurs l'admiration : Monique, assistante de direction aux 22 ans d'expérience, Wanda, directrice des ressources humaines aux 31 ans d'expérience, ou encore Mei, cheffe de projet aux sept ans d'expérience. Les embaucher, précise le site, permettent pour les employeurs de bénéficier d'une "économie sur salaire" allant de 9 à 20 %.
"Nous avons méticuleusement sélectionné les candidates et éliminé les femmes agressives, féministes ou ambitieuses", nous précise-t-on. Une provoc' qui fait suffisamment mouche pour éveiller les consciences, assure Morgane Dion, l'instigatrice d'Equally Work. Du côté de RTL, l'entrepreneuse explique : "L'objectif c'est que l'indignation autour de PinkJobs se transforme en indignation autour des inégalités salariales". Et cette indignation n'en est que plus forte lorsqu'elle sillonne les chemins de la satire, entre caricature frontale (le fond visuel so girly) et précision des chiffres - qui, eux, sont bien réels. Car oui, l'écart de salaire de plus de 20 % n'a rien d'une fake news, malheureusement. "Ce que j'aime avec l'humour et l'absurde c'est que ça nous met face à nos propres contradictions", poursuit Morgane Dion.
Pinkjobs nous confronte surtout à une banalisation effrayante des inégalités, contre laquelle il convient de lutter au plus vite. C'est d'ailleurs ce que recommande l'économiste et activiste Rebecca Amsellem. La créatrice de la newsletter féministe Les Glorieuses est à l'origine du mouvement #5Novembre16h47. A la lire, les femmes qui travaillent en France gagnent 85 centimes pour chaque euro que les hommes gagnent. Face à cette situation, l'une des meilleures manières de protester est encore de relayer l'info. Massivement. Qu'entreprises, gouvernement et anonymes aient à l'esprit ce devoir de transparence au sujet des salaires. Car "si personne n'en parle, personne ne s'en rend compte", affirme la militante. D'où l'utilité de cette campagne qui déboussole pour mieux ouvrir les yeux.