Les années passent et rien ne change. Chaque année, le même constat, toujours aussi désolant : les femmes touchent en moyenne 18,5 % de moins que les hommes à équivalent temps plein, selon l'Insee. Si les inégalités salariales sont censées être illégales, elles n'en restent pas moins persistantes. Comment expliquer que la France soit aussi à la traîne et ne parvienne pas à endiguer le fléau ?
Pour tenter de réveiller les consciences et bousculer ce phénomène systémique, l'économiste et militante Rebecca Amsellem, créatrice de la newsletter Les Glorieuses, a lancé un mouvement il y a 4 ans : le #5Novembre16h47. Pourquoi ce nom ? Pour frapper les esprits. Car oui, à partir du 5 novembre à 16h47, les femmes en France commenceront à travailler bénévolement jusqu'à la fin de l'année 2019 du fait des inégalités salariales. Une date calculée en tenant compte du chiffre des inégalités de salaires d'Eurostat (15,2%). Ce mouvement se donne pour objectif d'interpeller les pouvoirs publics, les entreprises, mais aussi les salarié·e·s. Rebecca Amsellem nous livre quelques pistes pour remédier à ces inégalités salariales qui gangrène la société française.
Rebecca Amsellem : Le dernier rapport qui est sorti, c'est celui de l'Institut européen sur l'égalité des genres (European Institute for Gender Equality). Ils ont classé la France 3e, mais j'ai pu constater que certains critères, comme celui des violences, ont été retirés cette année. Et en ce qui concerne l'argent, nous sommes
8e. Ce qui veut dire qu'en France, les femmes gagnent 85 centimes pour chaque euro que les hommes gagnent. Ce qu'il faut savoir, c'est que dans les couples avec enfants, les femmes gagnent 30% de moins que les hommes. Et ce qui est hallucinant, c'est ce que cette égalité les poursuit en plus tout au long de leur vie, jusqu'à la retraite. Les retraitées sont de plus en plus seules et extrêmement pauvres.
Les femmes racisées sont également moins payées que les femmes blanches et c'est dans les plus hauts salaires que l'on constate les plus forts écarts salariaux. La problématique des inégalités salariales touche donc toutes les femmes : les femmes privilégiées, les femmes blanches, les femmes plus précaires et les femmes racisées.
R.A. : En vrai, c'est encore pire. Car rien n'est vraiment fait pour endiguer les inégalités. Si on prend par exemple l'index mis en place par le gouvernement, on a l'impression qu'il n'existe que pour donner des couronnes de fleurs aux entreprises. Si on est assez bon pour remplir un formulaire, a priori, on est au-dessus de ces 75 sur 100 et on fait partie des "bons élèves".
Mais l'idée, ce n'est pas de dire qu'il y a des "bons élèves" et des "mauvais élèves" : on veut supprimer les inégalités. Et c'est possible puisque plusieurs pays dans le monde y sont parvenus.
R.A. : Le pays le plus fort, c'est le Rwanda : les inégalités ont été résorbées pour plusieurs raisons. La première est affreuse puisqu'une grande partie des hommes sont morts lors du génocide en 1994. Les femmes sont entrées en masse sur le marché du travail et dans tous les corps de métier, sans distinction de "métiers d'hommes" ou "métiers de femmes". Ils ne se sont pas dit : "Tiens, on va moins la payer parce que c'est une femme". Ça, c'est plutôt lié à nos cultures occidentales...
Le Rwanda a également mis en place une politique éducatrice très importante. Il n'y avait plus aucun bouquin qui traîne dans les écoles dans lequel on verrait qu'une petite fille est destinée à être une princesse en attendant le prince charmant. Les filles ont eu des cours d'empowement à l'école. En France, on peut s'arracher les cheveux si on va dans une bibliothèque...
Et en Norvège et en Suède, ils ont instauré un congé parental commun aux deux parents. Ce congé de 16 mois se partage entre les deux partenaires. Du coup, il n'y a pas cette perte de salaire au moment du premier enfant et il n'y a pas la peur de l'employeur d'embaucher une femme.
R.A. : Il existe plusieurs propositions qui permettent d'endiguer rapidement les inégalités salariales. Déjà, au niveau du gouvernement : je pense qu'on ne va pas pouvoir prétendre à l'égalité salariale si on ne passe pas les trois mesures suivantes.
Tout d'abord, une obligation de transparence des salaires dans les entreprises, c'est-à-dire que les entreprises doivent être obligées de publier les salaires de leurs employé·e·s.
Le second élément, c'est un certificat d'égalité obligatoire. Cela veut dire que les entreprises devraient prouver qu'elles respectent cette égalité.
Et enfin, un congé de paternité qui soit aussi long que le congé de maternité post-accouchement, parce que les écarts de salaires se creusent considérablement à l'âge où les gens ont leur premier enfant.
R.A. : Un exemple extrêmement simple, c'est juste de parler d'argent, d'utiliser l'occasion du mouvement du 5 novembre pour parler d'argent à la machine à café. C'est cette culture du secret qui fait aussi que les femmes sont moins bien payées que les hommes ! Si personne n'en parle, personne ne s'en rend compte. J'insiste sur cette volonté de transparence. Cela peut venir du gouvernement, mais cela peut venir des entreprises aussi, qui peuvent être transparentes sur leurs salaires. En Norvège par exemple, depuis 1800, les salaires et les impôts de chaque concitoyen qui sont disponibles sur internet.
Et si on est un homme, on peut aussi aller voir ses collègues femmes qui font un travail sensiblement identique, et on peut leur proposer de leur dévoiler son salaire. Et si jamais vous vous rendez compte que le salaire est sensiblement différent entre la femme et l'homme, la personne peut également appuyer la demande d'augmentation de salaire pour que la femme gagne autant que l'homme.
R.A. : La première possibilité, c'est de s'adresser au syndicat auquel on appartient qui peut nous aider à monter un dossier pour demander une augmentation. On peut aussi contacter un·e avocat·e pour monter un dossier. Généralement, les femmes ne le font pas quand elles sont encore en poste parce que c'est soit-disant une source de conflit entre l'employeur et l'employé·. Elles ont tendance à le faire au moment de la rupture du contrat.
R.A. : En fait, on pourrait penser que les femmes n'osent pas demander des augmentations de salaires, mais c'est faux. Elles le demandent mais on leur refuse plus facilement qu'un homme. Il faut changer la dialectique autour du : "Si vous gagnez moins, c'est que vous demandez moins."
Mon conseil, c'est que quand on négocie son salaire lors de son entretien d'embauche et que l'employeur demande quel était notre salaire lors de notre précédent emploi, on peut répondre que ce n'est pas pertinent de divulguer cette information, car cela ne correspond pas à la même fiche de poste, pas aux même responsabilités et aux mêmes compétences. On peut répondre : "Par contre, mon salaire souhaité pour cette fiche de poste est de tant car cela correspond au temps que je vais y passer, aux compétences requises, etc..."
R.A. : Pourquoi pas ! Par contre, ce n'est pas à moi de proposer une grève, c'est aux syndicats de s'organiser pour l'encadrement de la grève et le dépôt des préavis auprès de la préfecture. C'est vraiment hyper important de se syndiquer, il faut le rappeler.