Lassée des cours de "self défense pour femmes" où les instructeurs, en majorité des hommes, tiennent des discours toxiques, entre "mansplaining" et "victim-blaming" (blâmer la victime), je me suis tournée vers une initiative moins connue mais beaucoup plus saine : le cours d'autodéfense "féministe" mixte.
Depuis que la parole sur le harcèlement de rue et les agressions sexuelles que subissent les femmes dans l'espace public s'est libérée (merci Sofie Peeters, auteure du documentaire "Femme de la rue"), les cours d'auto-défense "100% féminins" sont devenus plus visibles. Tant mieux. Sauf qu'en développant une pensée déconstruite sur le patriarcat, on se rend vite compte de la toxicité de certains discours paternalistes (rien que le nom "self défense pour femmes", à peine condescendant) que nous servent parfois les instructeurs...
"Il FAUT porter plainte", "Évitez d'emprunter le même chemin tous les soirs pour rentrer", "Si vous n'arrivez pas à crier aujourd'hui, imaginez en situation d'agression". Autant de "bons conseils" qui sont formulés de manière oppressive et qui renforcent le sentiment d'insécurité de celles qui viennent apprendre à se défendre. Nous sommes venues pour apprendre à répondre, à nous battre si besoin, et non nous entendre dire une fois de plus (sous la forme de sous-entendus ultra-clichés et franchement dépassés) que si on se fait emmerder, "c'est quand même un peu de notre faute" malgré tout. Parce qu'on est sortie tard, qu'on était en jupe ou que l'on n'a pas mis son super vernis anti-GHB, on n'a pas pris toutes les précautions finalement... Assez.
L'aspect technique ou "sportif" est là, certes, et c'est déjà une bonne chose. Pour commencer. Mais les discours culpabilisants (même lorsqu'ils ne le sont pas de manière intentionnelle, comme c'est souvent le cas) de certains coaches peu renseignés sur la dimension sexiste de ces agressions ont eu raison de ma patience, et n'ont fait qu'accentuer ma rage contre le sexisme ambiant. Le seul fautif, c'est la personne qui agresse, il est temps d'essayer un stage qui tienne enfin un discours réaliste sur le sujet...
Je partage cette lassitude avec des amies, militantes féministes tout comme moi et qui en sont au même point. De fil en aiguille, j'apprends l'existence d'un tout nouveau stage "pas comme les autres" à Paris. Je m'y inscris sur le champ et le dimanche suivant, j'arrive au centre d'animation Marc Sangnier, géré par l'association CASDAL 14, dans le 14e arrondissement de Paris...
Sur place, ce sont Claire et Olivier qui animent le cours bénévolement, de 13 à 18h. Elle est coordinatrice du pôle jeunesse dans les deux centres d'animation gérés par l'asso, et militante féministe, et lui, coordinateur des activités du centre et instructeur de Avci-Wing-Tsun & Escrima ("art martial d'auto-défense réaliste, efficace et fonctionnel"). Ils ont décidé de monter ce stage avec une construction bien différente de ceux que l'on trouve actuellement "sur le marché", et qui cartonnent : avec une approche féministe, mixte, déconstruite et militante.
Avant de se lancer dans la pratique avec Olivier, Claire explique aux participantes (pour le moment, seule des femmes s'inscrivent) le déroulement de la séance. Puis elle enchaîne sur un discours très clair faisant état des lieux du harcèlement de rue, des agressions sexuelles dans l'espace public, des différents "prédateurs" qui y rodent (elle distribue d'ailleurs un extrait du Projet Crocodiles) : il s'agit de domination de l'espace public, qui a été pensé par et pour des hommes avant toute chose. Dans la seconde, cela ne change concrètement rien au fait qu'on risque à tout instant de se faire sauter dessus, mais il est très important de mettre des mots sur cette discrimination et toute la violence qu'elle charrie.
Notre hôtesse nous tend ensuite des post-its et des stylos, et nous invite à écrire les raisons qui nous poussent aujourd'hui à être là. Dans le silence, nous puisons dans les convictions ou les mauvaises expériences qui nous ont conduites jusqu'ici. Claire les reprend, les colle sur le mur du dojo, et lit ces témoignages anonymes à voix haute. "Parce que je me suis faite agresser dans le rer et que personne n'a bougé", "Parce que je ne veux plus avoir peur dans la rue", "Parce que je ne veux plus me laisser faire"... Les tournures changent mais le fond reste le même : trop c'est trop, le prochain, je le mets au tapis.
Olivier et Claire commencent par des exercices simples : ne pas laisser un "relou" nous empêcher d'aller à un point A à un point B dans la salle, quitte à lui crier dessus, fort, pour avoir la paix. Ensuite, nous voyons les clés de bras pour un agresseur qui essaierait de nous saisir la main. Le mot clé : se dégager, pour pouvoir partir/fuir. Puis nous travaillons les coups, dans l'hypothèse où le "crocodile" n'aurait pas compris. Nous mettons des claques et coups de poings, à l'aide de différents sacs de frappe et de gants, ça fait un bien fou.
Après une petite pause, nous attaquons un chapitre plus difficile : celui du sol. Claire et Olivier nous rappellent que si un exercice nous met mal à l'aise, nous ne sommes aucunement obligées de le réaliser, sans avoir à nous justifier, car les mises en situation sont très réalises. Olivier a en effet l'approche très pédagogique de montrer la force de résistance que peut avoir un "adversaire", nous poussant à prendre confiance pour (re)prendre le dessus. C'est aussi effroyable qu'efficace, en effet, et cela ne conviendra pas à toutes les sensibilités.
Il nous montre comment nous déplacer si nous sommes à terre, face à un agresseur debout pour nous relever et fuir, comment se dégager avec le poids d'une autre personne sur nous... Ou encore où taper ou appuyer pour détourner l'attention de l'attaquant qui nous maintient pour qu'il nous lâche (les yeux, les oreilles, le nez, la glotte, par exemple). Car oui, le coup de pied ou de genou dans les valseuses est efficace, mais nous ne sommes pas toujours en mesure de le réaliser. Vous l'aurez deviné, trolls des internets qui aimez bien nous rappeler qu'"un coup dans les bijoux de famille, c'est simple et efficace" sans penser à l'état de sidération de la victime, c'est à vous que je m'adresse : la ferme !
Olivier nous donne des pistes, mais ne fait pas la "promesse de campagne" de nous rendre "invincibles". En cas d'étranglement (dont nous apprenons la sensation pour la reproduire ensuite sur lui, en toute sécurité) ou de présence d'arme blanche, il admet que les chances sont minces si l'on engage le combat (comme l'a dit Claire en début de séance, si on y va, on y va jusqu'au bout !). Puis il rappelle qu'un réflexe ne s'apprend pas en une fois, en effet, mieux vaut revenir pour apprendre ces gestes qui sauvent. Et c'est ce que j'ai fait, cinq fois, depuis ce jour-là.
Les participantes remercient le tandem d'instructeur qui nous ont appris beaucoup de chose cet après-midi et s'en vont, enthousiastes. Une fois, j'ai fait le chemin du retour avec une dame en incapacité de travail depuis une violente agression dans la rue, qui s'est soldée par une visite à l'hôpital. Elle me dit qu'elle se sent plus forte après ce cours dont elle a apprécié l'approche réaliste mais surtout humaine, et qu'elle reviendra. Je retrouve la sensation que j'ai eue il y a quelques mois non sans émotion, et m'empresse d'envoyer un email de remerciements à Claire, qui peine à faire connaître cette initiative qui lui tient si à coeur et qu'elle a tant de mal à promouvoir. "Votre combat est juste, ne lâchez rien !"
Si vous souhaitez, vous aussi, soutenir une initiative locale (parisienne en l'occurrence) vous pouvez suivre la page créée par les deux bénévoles à l'origine de ce cours sur Facebook , ou encore vous inscrire à l'un de leurs futurs stages mensuels. Le prochain aura lieu le 4 octobre 2015, toutes les instructions sont ici .