Ah, si j'étais Anna Wintour , j'enverrais une de mes multiples assistantes en quête du manuscrit tout juste fini de Harry Potter pour mes enfants, faire les courses pour le dîner, organiser le week-end de lovers pour les 40 ans de mon mec toujours au point mort (le week-end, pas mon mec)... Mais voilà, je ne suis pas la dame au bob capillaire, n'ai point d'autre assistant que mon vaillant smartphone et tente d'endiguer aussi bien que mal le flot de tâches qui dégueule sans relâche des robinets "vie pro", "vie perso", "survie amicale" et bien sûr du sournois "éradication folliculo-pileuse".
Si bien que le jour où j'ai reçu le mail de Sam, j'ai bondi.
Non, pas Sam de "La vérité est au bout du couloir", mais Sam de Groomy's, une conciergerie privée qui me proposait de tester leurs services. "Le service privé en France n'existe pas vraiment ou n'est pas suffisamment accessible. Groomy's souhaite réellement faire valoir et démocratiser le service à la personne et l'assistanat sur mesure auprès de tous", arguait le communiqué de presse. Rendez-vous téléphonique est pris avec mon AP (assistant perso), qui me fait le catalogue de tout ce que le service peut me proposer d'alléchant : location de véhicule (bon, je n'ai pas mon permis), résa d'hôtels, achat de places de spectacle, drop de vêtements au pressing, personal shopping, résiliation d'abonnement téléphonique (je bondis ! oui, oui, oui !), achat de cadeaux... Mmh, super, tout me va. Mais non, en fait, je dois choisir une prestation.
Après avoir longuement hésité à planter Bouygues par personne interposée, comme ça, après vingt ans de relation tumultueuse, juste pour le plaisir de lui montrer que je ne suis pas acquise non monsieur, j'ai finalement opté pour la résa de restaurant. Oui, après plusieurs tentatives pour dîner dans un établissement couru de la capitale où il est impossible de réserver, sauf à 18h le jour-même, je me dis que grâce à Sam, je vais enfin pouvoir dîner chez Ober Mamma. Un peu honteuse, je demande donc à Sam s'il peut aller faire la queue boulevard Richard Lenoir à 18h pétante le mercredi suivant, réserver une table pour deux personnes à 20h30 et s'éclipser tel un songe. Sam est ok. Miracle.
Le jour dit, je me demande si Sam était un mirage, s'il se rendra bien boulevard Richard Lenoir, s'il parviendra à s'imposer face aux cerbères stylées qui gardent la porte de ce haut lieu d'italofoodisme. A 19h05, je reçois un texto. Ma table est bookée, Sam me souhaite une excellente soirée. J'exulte. Sur place, je fends la foule, persuadée d'avoir pris 10 centimètres et d'exhaler un magnétisme envoûtant. Je suis Catherine Deneuve. J'ai un assistant perso. La capitale se prosterne devant moi. Bref, on m'emmène à ma table, j'ai réussi, Sam aussi.
Ce service est très niche, me direz-vous, ce qui n'est certes pas faux (goûtez toutefois les pâtes aux artichauts du lieu précité avant de vous prononcer). En revanche, peut-être n'est-il pas illusoire de penser que, à l'instar des Über et consors, dont jamais on n'aurait envisagé il y a quelques années que, tous, nous pourrions bénéficier d'un chauffeur encravaté nous ouvrant la porte pour nous mener où bon nous semble dans une belle berline avec le sourire en sus, le service de conciergerie viendra à se démocratiser. Que tous, bientôt, nous pourrons prendre un forfait (ceux de Groomys vont de 49,99€ pour un service "à la carte" à 250 € par mois pour une formule 7j/7 et 24h/24) qui nous soulagera des lourdeurs administratives. Que nous pourrons alors déléguer ces prises de rendez-vous (pédiatre, dentiste, dermato, attendre EDF, GDF, Free et tous leurs amis sans horaires, faire les courses pour le dîner entre potes de vendredi soir, choper les places pour le concert d'Adele...) que les working mums (oui, oui et dads) ne parviennent pas toujours à honorer, respecter, sous peine de transformer leur open space en standard téléphonique, de se mettre en 4/5e (ce qui reviendrait potentiellement plus cher) ou de plonger la tête la première dans le burn-out. Que peut-être même, alors, les entreprises en prendraient une partie en charge, comme un service soulageant le salarié moderne sollicité soirs et week-ends sur le smartphone lui-même gentiment fourni par ladite société... En une sorte de donné pour un rendu, quoi. Ce qui ne serait pas si fou, finalement, se prend-on à rêver.
Nous, on prendrait bien Sam à demeure à la rédac. Si notre hiérarchie lit cet article, les forfaits , c'est par ici.