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« Pour la condition de la femme, Beyoncé a fait probablement plus que Simone de Beauvoir »
Publié le 23 mai 2014 à 17:57
Par Vincent Berthe
Vous aimez bien Donna Summer, Madonna, Rihanna et consorts. Vous écoutez sans gêne leurs hits imparables mais ne les prenez quand même pas trop au sérieux. Erreurs funestes, ces amazones courtement vêtues et au langage peu châtié sont à l’avant-garde de la libération de la femme. Ne soyez pas incrédules, l’habit ne fait pas le moine…
« Pour la condition de la femme, Beyoncé a fait probablement plus que Simone de Beauvoir » « Pour la condition de la femme, Beyoncé a fait probablement plus que Simone de Beauvoir »© Matt Sayles/AP/SIPA
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Dans la soirée de samedi, à minuit vingt pour être précis, heure bien tardive mais propice pour ce type de savoureuse cochonceté, Arte diffusera Sexe, douleur et rock’n’roll, quatrième et dernier film de la série documentaire « Sex & Music ». Et de démontrer ainsi comment l’esthétique SM a envahit la pop culture. La semaine précédente, toujours sur la même chaîne, un autre doc expliquait comment dès les années 1960, l’arrivée du rock avait brouillé la frontière entre les genres…

Les artistes ne pensent vraiment plus qu'à ça, les cochons…

Trois chiffres sont particulièrement parlants et constituent le point de départ de cette série qui révèle le lien ténu entre grands mouvements artistiques et évolution des moeurs : si dans les années 1950, seuls 3% des chansons classées dans les charts parlaient de sexe, la proportion passe à 40% vingt ans plus tard et atteint désormais 92% en 2009. L’industrie du disque est-elle devenue complètement obnubilé par la fornication ? Le grand public n’est-il plus qu’un ramassis de pervers ? Sommes-nous tous condamnés à la dépravation ? Rien de tout cela, nous rassure la productrice des films Sophie Bramly (qui collabore, par ailleurs, à la rubrique « Sexo » du site, Ndr). Bien au contraire, louer autant l’accouplement de soi comme de ses semblables n’est signe que d’épanouissement et de… grandes avancées pour la condition féminine. Elle nous explique, ici, pourquoi.

Être artiste populaire et ne pas parler de sexe en 2014, n’est-ce pas là la réelle transgression ?
Sophie Bramly : De manière peut-être un peu hâtive, je répondrai non. Ce qui est frappant néanmoins, c’est la passivité de la pop musique française sur ces questions. Où était-elle durant toutes ces années ? Pourquoi a-t-elle si peu participé à ce mouvement de libération des moeurs ? Si la chanson française a longtemps flirté avec le grivois, ce n’est plus le cas depuis un moment préférant se cantonner au registre amoureux. On peut, je crois, faire le parallèle avec le regard que nous portons sur les sex toys. Nous, Français, aimons croire que notre qualité au lit rend tous ces accessoires bien futiles, nous sommes si libérés… C’est un leurre. Au contraire, nous avons cessé de l’être il y a longtemps, prisonnier d’une pudeur du corps et des idées bien plus forte que chez les Anglo-saxons.


Pourtant, à l'inverse de la génération post-68 qui a bouleversé les codes de la musique et bousculer l'ordre moral, les pop stars d’aujourd’hui - certes hédonistes et volontiers provocantes - semblent assez conservatrices…
S.B. : Par le passé, les artistes étaient, il est vrai, plus subversifs. En France, il est amusant de constater ô combien un Brassens ou un Léo Ferré était plus cru que n’importe quel rappeur aujourd’hui. Tout est question d’équilibre. Dans l’histoire des moeurs sexuelles, à chaque fois qu’une porte s’ouvre sur une transgression, une autre se ferme ou demeure close. Il y a toujours des combats à mener. Encore une fois, c’est moins une question de génération que de culture : on a beaucoup à apprendre des Anglo-saxons dans ce domaine.

Mais, en quoi des chanteuses comme Madonna, Beyoncé, Lady Gaga ou Britney Spears sont-elles subversives et font ainsi progresser la condition des femmes ?
S.B. : Tout d’abord, dans la manière qu’elles utilisent leurs corps dénudés en prenant les pleins pouvoirs. Avec la même tenue qu’il y a trente ans, les attitudes ont changé, la façon dont elles se meuvent révèle leur indépendance. Elles nous disent : « Je ne suis pas l’objet sexuel que vous espériez ». Il est donc moins question ici d’idées que d’attitude. Mais, il y aussi les paroles – je pense notamment à celles de Rihanna sur la sodomie – et les clips. L’évolution des femmes dans la pop music est réellement atypique, un milieu où elles ont acquis un pouvoir incroyable. Et, du fait de leur popularité et de l’aspect très accessible de leurs chansons, ces artistes ont probablement fait plus pour la condition féminine que les écrits d’une Simone de Beauvoir.

Il n’empêche que tous ces artistes sont extrêmement « marketés »…
S.B. : Mais, ce n’est pas pour autant incompatible. Nous vivons aujourd’hui dans un monde où sans stratégie de communication, rien ni personne n’existe. L’omniprésence des réseaux sociaux en atteste. Ceci pris en compte, le corps se réaffirme comme un espace de liberté. La recrudescence de tatouages et de piercing n’est pas un hasard… Alors, si les provocations de Beyoncé, Rihanna ou Miley Cyrus sont du marketing, c’est un marketing qui signifie quelque chose. Cette nécessité impérieuse d’être visible n’est pas neutre, elle revendique aussi un droit à la différence. Ces chanteuses utilisent les techniques de leur époque pour mArteler : « Vous nous voulez avec les seins à l’air ? Très bien. Mais attention, mon corps m’appartient, je couche avec qui je veux, je prends mon pied et je suis puissante ». Loin d’être de gentilles poupées écervelées, elles constituent une belle brochette d’amazones dans un univers – celui du R&B – éminemment misogyne. Elles ont su retourner la situation à leur avantage et ont désormais pris le pouvoir.

Quelles sont les chanteuses qui, à vos yeux, ont le plus contribué à cette dynamique ?
S.B.: Dans les années 1960, il y avait cette chanson « You Don’t Own Me » de Lesley Gore. Elle ? Blonde, souriante, petit brushing, tout sage. La mélodie ? Sirupeuse à souhait. Les paroles par contre, des plus radicales ! Inconnue du grand public, cette chanteuse a montré la voie à ses paires. Une influence indéniable. Mais, pour répondre plus précisément à la question, je dirais que mon trio de tête est constitué de Janis Joplin, Madonna et Beyoncé.

Finalement, la musique demeure-t-elle encore profondément genrée ?
S.B.: En grande partie, oui même si les choses évoluent positivement. Le rock, comme le heavy metal, le punk ou l’electro ne sont pas réputés pour leur goût de la parité. Mais, dans le même temps, il suffit de regarder les charts pour s’apercevoir qu’il n’y a quasiment plus que des femmes. Et lorsque des hommes s’immiscent aux premières places, ils ont des casques sur la tête…


Le grand mix

Un homme, huit femmes et six titres ultimes, pas un de plus, pour incarner la libération sexuelle. Exercice des plus périlleux, Sophie Bramly a néanmoins joué le jeu. Oreilles chastes s’abstenir…


1/James Brown, « Get Up (I Feel Like Being A) Sex Machine » (1970)

2/Beyoncé « Fever » (2011)

3/Donna Summer « Love To Love You Baby » (1975)


4/Madonna « Express Yourself » (1989)


5/ Salt n' Pepa « Let'S Talk About Sex » (1991)

6/ Janelle Monae feat. Erykah Badu « Q.U.E.E.N. » (2013)

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