Branle-bas de combat dans l’univers de la mode : allant à contre-courant du jeunisme ambiant sur les podiums et les couvertures des magazines, Céline et Saint Laurent viennent de choisir respectivement comme égéries l’écrivaine Joan Didion et la chanteuse folk Joni Mitchell.
La photo est sobre, voire brute, à l’image de toutes les campagnes de la marque Céline, qui a érigé la simplicité en dogme depuis que Phoebe Philo est à sa tête. On y voit une vieille dame menue, vêtue d’un fin pull noir que seul un collier vient égayer, et portant des lunettes noires qu’Audrey Hepburn ne renierait pas. Cette digne octogénaire, ici photographiée par Juergen Teller, n’est autre que Joan Didion, écrivaine adulée aux Etats-Unis.
Dès la diffusion de cette publicité, mardi 6 janvier, les comptes Instagram des personnalités les plus en vue du monde de la mode ont frétillé de contentement, applaudissant le choix de l’auteure de L’année de la pensée magique comme égérie de la marque.
Une photo publiée par SophieFontanel (@sophiefontanel) le Janv. 6, 2015 at 11:56 PST
Les photographies de Joni Mitchell diffusées par Saint Laurent en fin de semaine et annonçant que celle-ci représentera la marque sont plus solennelles. On y voit la chanteuse, guitare à la main, et chapeau large vissé sur la tête. Le noir et blanc confère une gravité à ces images faites pour convoquer le passé.
Alliant pudeur et élégance, ces deux campagnes ne manquent pas de chien, il faut bien le reconnaître. Et cette célébration de l’intelligence et de l’art est un antidote idéal aux campagnes de publicités obscènes qui inondent les médias, sans parler du derrière huilé de Kim Kardashian, devenu le symbole de la tendance exhibitionniste de notre époque.
Cependant, on ne peut s’empêcher de se demander, en voyant ces deux photos, si Céline et Saint Laurent n’ont pas succombé à un phénomène de mode. Depuis quelques années, on voit en effet apparaître de plus en plus de "seniors" dans les campagnes de publicité de grandes marques. Un engouement pour les cheveux blancs et les rides qui peut parfois sembler calculé.
Ainsi, la démarche de Dolce & Gabbana, qui montre depuis des années des personnes âgées sublimées (comme ces trois italiennes égéries de la collection printemps-été 2015 ci-dessous) paraît plus pure que celle d’American Apparel (marque connue pour son goût de la provocation) dont la campagne révélant une sexagénaire en train d’écarter les jambes en sous-vêtements semble plus conçue pour choquer que pour célébrer la vieillesse.
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Pour revenir à nos deux égéries, si la photo de Joan Didion par Juergen Teller semble fidèle au style épuré de l’écrivaine, on peut regretter que Joni Mitchell soit affublée d’une guitare sur la publicité de Saint Laurent, comme pour insister sur son statut d’icône folk. Un cliché dans l’esprit de l’autoportrait ci-dessous, réalisé par la chanteuse elle-même, eût été plus authentique. A la place, la marque a privilégié la nostalgie en évoquant la carrière musicale d’une des plus illustres chanteuses des années 70.
À cette célébration du passé, un peu trop opportuniste pour être honnête, on préférera ainsi les campagnes d’Helen Mirren et de Charlotte Rampling pour L’Oréal ou NARS. Ces photos, destinées avant tout à vendre des produits de beauté, frappent néanmoins par leur modernité et leur authenticité. Et paraissent, paradoxalement, moins opportunistes que les photos de Joan Didion et Joni Mitchell.
Car ne nous y méprenons pas : si les marques choisissent de plus en plus des égéries de plus de 50 ans, ce n’est pas tant pour lutter contre le jeunisme que pour s’adapter à leur clientèle qui vieillit. Celle-ci, lasse d’être bombardée de photos de mannequins à peine échappées du berceau, adhèrera à n’en pas douter au mantra selon lequel vieillir est le comble de la coolitude.
Les campagnes Céline et Saint Laurent sont belles, et rendent hommage à de vraies artistes. Espérons simplement qu’à l’avenir, les marques abandonneront peu à peu cette approche fétichiste au profit d’une mise en avant un peu plus sincère des femmes mûres.