Six mois. C'est le délai qu'avait accordé en juillet le Conseil d'État au ministre du Travail François Rebsamen pour publier un décret appliquant enfin une loi de 2006 qui rend obligatoires les CV anonymes dans les entreprises de plus de 50 salariés. Mais sont-ils vraiment efficaces pour lutter contre la discrimination à l'embauche et, plus généralement, contre les inégalités d'accès à l'emploi ?
Alors que les conclusions du « groupe de travail de lutte contre les discriminations dans le monde du travail » piloté par le ministre du Travail, doivent être rendues ce jeudi 18 décembre, une étude réalisée par le Conseil général de l'Essonne apporte des nuances aux louanges jusqu'ici adressées à l'égard de l'efficacité du CV anonyme.
Depuis janvier 2014, le Conseil général de l'Essonne, composé de 4 700 agents, teste le recrutement par CV anonyme en partenariat avec l'Observatoire des discriminations. Ce dernier s'est chargé de comparer les données anonymes du premier semestre 2014 avec les CV nominatifs du premier semestre 2012.
Grâce au dispositif mis en place par le Conseil général de l'Essonne, les candidats portant un « prénom discriminant » (d'origine turque, maghrébine ou provenant d'Afrique subsaharienne) ont 32% de chances supplémentaires d'être convoqués, et 36% des chances d'être embauchés.
Interrogé par l'AFP, le président PS du Conseil général de l'Essonne Jérôme Guedj estime que « le CV anonyme est bénéfique et positif ». Raison pour laquelle il a décidé de « généraliser ce type de recrutement dans sa collectivité ».
Toutefois, l'étude réalisée par le Conseil général de l'Essonne pointe les failles du CV anonyme : malgré un taux d'embauche à la hausse, les porteurs de prénoms discriminants restent malgré tout moins bien lotis que les autres candidats : 26% de chances en moins de passer un entretien et 32% d'être recrutés.
Mais pourquoi les inégalités d'accès à l'emploi subsistent-elles ? D'après le rapport, c'est d'abord parce que les recruteurs de la collectivité privilégient les candidatures internes et les fonctionnaires, soit deux catégories où les candidats d'origine étrangère sont peu nombreux.
Ensuite, l'étude met en lumière un « effet diplôme » qui pénalise les candidats porteurs de prénoms discriminables « nettement moins diplômés ». Se pose donc « la question des inégalités dans l'accès aux formations », analyse le sociologue et président de l'Observatoire des discriminations Jean-François Amadieu. S'il n'est pas question pour lui d'enterrer le CV anonyme, il préconise aussi « qu'il y ait, dans le processus de recrutement, des épreuves impersonnelles - tests, mises en situation professionnelle - pour réduire le poids de l'entretien, qui est une étape très subjective. »
Apportant des nuances à l'efficacité du CV anonyme, l'étude réalisée par le Conseil général de l'Essonne émet un constat à l'opposée d'un précédent rapport du Centre de recherche en économie et statistique (Crest), paru en 2011 en collaboration avec Pôle emploi. Réalisée en 2009 et 2010, l'expérimentation menée avait montré au contraire que les jeunes, les femmes et les seniors étaient avantagés par le CV anonyme. Ce qui n'était en revanche pas le cas pour les candidats issus de l'immigration et/ou résidant en zone urbaine sensibles.
« Pour eux, la probabilité d'accéder à l'entretien passe de 9,6% avec un CV nominatif à 4,6% avec un CV anonyme », notait Pôle Emploi, qui concluait « qu'en moyenne, le CV anonyme n'a pas d'effet détectable sur les chances d'accès à l'emploi ».