Aux premiers jours du printemps, on voit apparaître les crocus, de petites fleurs bien connues des montagnards. Mais c'est une autre variété, automnale, dont les pétales sont également violettes, qui a des vertus multiples et aphrodisiaques. Avec des stigmates denticulés d'une couleur jaune-orangée qui dégagent un parfum caractéristique, le safran faisait autrefois le bonheur sexuel d'une bonne partie du monde antique.
Les premières traces de cette plante remontent à 14 siècles avant JC, on en trouve la trace d'abord en Asie Mineure, puis dans plusieurs pays du bassin méditerranéen. Si les origines du mot sont incertaines, elles font dans tous les cas référence à sa couleur précieuse : les Arabes parlent d'"aṣfar" qui signifie jaune, tandis que chez les Perses, le "zar" de "Zarparan", signifie "or", et il est vrai que le safran est la plus chère des épices et qu'elle est un bien précieux.
Dans la Grèce Antique, le voile des mariées n'était pas blanc, mais couleur safran. La légende voulait que Zeus lui-même, dieu de l'Olympe, utilisait le safran pour améliorer ses performances sexuelles. On accordait à cette plante un pouvoir excitant, elle augmentait significativement le désir des hommes et des femmes. Le poète Homère comme le médecin Hippocrate en vantaient les mérites. Un autre médecin, le byzantin Alexandre de Tralles aurait mis au point une potion à base deux plantes, la cynoglosse et le safran, mélangées à de l'opium et de la myrrhe, qui aurait eu des résultats particulièrement probants sur les hommes.
En Inde, le pouvoir érotique de cette épice est connu depuis des temps anciens et continue à être utilisée aujourd'hui encore dans la médecine ayurvédique traditionnelle.
Chez les Romains, c'était aussi le safran qui faisait office de Viagra. On le saupoudrait sur le lit des jeunes époux de bonne famille et les vieux patriciens aimaient prendre des bains safranés dans les thermes. Ovide en a loué les effets dans ses poèmes et l'empereur Néron, qui comme de nombreux hommes politiques avait une importante libido, aimait que les rues de Rome soient couvertes de safran, malgré le prix, déjà pharamineux à l'époque. L'avis était unanime, et du philosophe Pline l'ancien, qui le trouvait propre à "exciter l'amour", à l'historien Quinte-Curce et au poète Virgile, tous ont fait référence à cet un élixir d'amour qui qui permettait de retrouver une jeunesse perdue.
Chez les Perses, le safran était aussi utilisé contre la dépression. On sait aujourd'hui les effets négatifs de la dépression sur la libido.
En France, il a été cultivé à partir du XVIe siècle et jusqu'à la fin du XIXe siècle, cette si précieuse épice rentrait dans la dot des mariés, ce qui indique qu'on lui reconnaissait un pouvoir aphrodisiaque. Hélas, des hivers particulièrement rudes ont ensuite mis fin à sa culture.
S'il est toujours difficile de le confirmer scientifiquement, on sait maintenant que cette plante contient des huiles essentielles et des hormones (comme le phytostérol), lesquelles favoriseraient la détente, amélioreraient la digestion, le sommeil et l'humeur (voire même provoquerait une certaine hilarité), la lubrification vaginale - et diminueraient les douleurs pendant les règles -, ce qui en soit serait déjà suffisant pour booster la libido.
Saupoudrer tous les plats de safran ne saurait être la solution miracle : la vraie épice est rare, chère, se conserve mal et risque d'écoeurer à terme. Mais rien n'interdit de le faire de temps en temps. Car, que l'effet soit scientifique ou placebo, il permettra d'installer une lueur de désir dans le regard, et de plus tard, faire glisser des vêtements au sol avec une concupiscence inhabituelle. C'est ce qui s'appelle "épicer" le rapport sexuel, et cette fois-ci le terme est utilisé à bon escient...