Les putains, les catins et les trainées d'un côté, les courtisanes, les demi-mondaines, cocottes et lorettes de l'autre, le monde de la prostitution institue lui aussi une hiérarchie sociale. Mais au-delà de cette dernière, les courtisanes qui - tiennent le haut du pavé - sont aussi celles qui s'engagent, qui soufflent dans la politique un air frais et souvent libère les femmes des carcans qu'on leur impose. Elle sont celles qui sont à la fois le tabou et le moteur et fascinent à ce titre. C'est sans doute pourquoi le Musée d'Orsay leur consacre actuellement une exposition, tandis que Catherine Authier, historienne, vient de leur consacrer un livre Femmes d'exception, femmes d'influence.
Car effectivement, elles influencent : tout au long d'un XIXe siècle pourtant conservateur, des femmes comme Mata Hari, La Belle Otéro, Lola Montes, Sarah Bernhart et bien d'autres, tiennent des salons où toutes les personnalités qui comptent se bousculent. Les plus grands peintres, photographes et écrivains louent ces muses et trouvent l'inspiration en elles. Elles agissent aussi dans les plus hautes sphères du pouvoir politique, affichant une intelligence stratégique hors normes. Tous sont séduits par ces femmes, libres dans leurs propos, tout autant que libertines.
Ce sont aussi elles qui affranchissent les autres femmes des carcans qu'on leur impose. Les médecins, obsédés à l'idée de trouver des tares aux prostituées, admettent pourtant qu'elles sont rarement hystériques (leurs rapports sexuels sont épanouis, comprendra-t-on bien plus tard). Désireuses de ne pas tomber enceintes, elles diffusent des pratiques de contraception comme le coïtus interruptus (coït interrompu) ou l'usage du préservatif (généralement en boyau de mouton) et ce faisant aident l'ensemble des femmes à échapper, elles aussi, aux grossesses non-désirées. Alors que l'avortement était interdit depuis 1791, elles ont aussi promu des produits (plus ou moins efficaces et dangereux) censés provoquer des fausses-couches. Tout cela aura été moteur pour aider les femmes à passer d'une sexualité uniquement reproductive à une sexualité devenue érotique.
Les horizontales sont aussi pionnières sur les questions d'hygiène et de beauté. Libérées de tout l'obligation d'être des femmes comme il faut, elles développent de façon importante le commerce du luxe, en dévalisant les magasins de la place Vendôme : Chaumet, Van Cleef, Boucheron, Worth, Christofle, Lanvin, Coco Chanel, Poiret, les voient acheter à tour de bras. Elles délaissent les grands magasins et s'habillent sur mesure, poussant les créateurs à toujours plus de folies, et les bourgeoises les imitent, cherchant à leur tour un peu d'originalité. Les vêtements deviennent plus fluides (adieu les crinolines) libérant le corps des femmes, et les décolletés toujours plus plongeants. Elles ont lancé aussi l'usage abondant de parfums capiteux, de maquillage et publient des manuels de beauté.
Elles apprennent surtout aux autres femmes les règles élémentaires d'hygiène, faisant les premières installer salles de bains et bidets à une époque où, au mieux, on se lave avec une bassine dans la cuisine. Elles en vantent l'aspect relaxant plutôt que sanitaire, se laissant photographier ou peindre dans des poses érotiques, sulfureuses, souvent parées de leurs plus beaux bijoux. Elles ont des lits immenses et spectaculaires faits par les plus grands ébénistes. Elles inventent des jeux de rôles, se livrent sans réserve au sado-masochisme, aux orgies, au lesbianisme, à la masturbation... Certaines, comme La Païva, pouvent faire l'amour pendant sept heures d'affilée et le faire savoir. Les plus intelligentes et les plus douées, comme Sarah Bernhart, sont souvent devenues actrices.
L'intérêt qu'hommes et femmes leur portent encore aujourd'hui n'est sans doute pas sans raison. Libérées de tous carcans, originales, pétillantes, avec des identités fortes, elles alimentent le désir aussi bien que la curiosité et fascinent les uns comme les autres. L'horizontale, un idéal qui dure ?
A voir et à lire :
Catherine Authier "Femmes d'exception, femmes d'influence", Editions Armand Collin, 368 pages (disponible depuis le 7 octobre)
Exposition "Splendeurs et Misères" au Musée d'Orsay : du 1 octobre 2015 - 12 janvier 2016