Elles ne sont pas journalistes, mais ont toutes les deux été victimes de la Ligue du LOL, cette bande de jeunes journalistes et communicants accusée de cyber-harcèlement au début des années 2010. La première, Laurence Guenoun, est photographe. Le harcèlement, qui a pu être à caractère antisémite, s'est produit dans son cas entre 2010 et 2011.
Pour la deuxième, Kenza Sadoun el Galoui, le harcèlement a duré plus longtemps, de 2013 à 2015 de manière frénétique, puis jusqu'à l'année dernière. Soit des années après la période d'intense activité supposée de la Ligue du LOL, entre 2009 et 2012.
Blogueuse mode depuis 2008, elle en a fait son activité professionnelle : "Ils sont servie de proies pour nourrir leur communauté. Moi, j'avais un blog mode. Ils se sont dit : 'La fille ne parle que de cosmétiques et que de beauté, elle est sûrement très bête', ce qui n'est pas le cas mais je sais l'image que peut renvoyer le cliché de la blogueuse mode."
Elle raconte son harcèlement violent : "Je recevais beaucoup de détournements de photos, dont une à caractère pornographique qui a beaucoup circulé. Ils avaient récupéré une vidéo dans laquelle je mange une glace... Depuis, je ne fais plus de vidéo avec des glaces, vous imaginez bien. J'ai un pénis entre les mains, c'est très bien fait, mais ça a beaucoup tourné. On reprenait mes vidéos mais on changeait la voix et mon discours. Ils s'amusaient à enregistrer mes articles de blogs sur SoundCloud et ils ridiculisaient mes textes avec de la musique derrière."
Le harcèlement se faisait aussi par le biais de messages sur Twitter, le terrain de chasse préféré de la Ligue : "Il y avait des tweets bidons mais aussi des tweets qui disaient : 'Moi je rêve de tuer Kenza', des trucs pas hyper sympa. Ou : 'Vous êtes quand même pas aidées, avec Kenza d'un côté, les Femen de l'autre', c'était des pics en permanence."
Elle raconte avoir également été harcelée par des filles : "Elles se mettaient en scène en train de faire du street style par exemple, en photo et en vidéo en disant : 'Je fais du street style comme Kenza'. Çà tournait des milliers de fois parce qu'il y avait toute une communauté derrière qui n'attendait que le prochain tacle qu'on allait mettre à Kenza".
Mais cela ne s'arrête pas là : "Il y en a une autre qui s'est amusée à créer un blog qui s'appelait 'Baroudeuse comme Kenza', où elle recréait mes photos de vacances mais avec un ton méprisant. Les nanas prenaient des photos pour parler de mon physique qui ne leur plaisait pas. La moindre action était reprise, c'était des filles qui me connaissaient par coeur."
Ces filles sont en lien avec la Ligue du LOL, les "copines de" : "C'était des filles qui étaient un peu plus jeunes, donc je mettais ça sur le compte de la jeunesse, je me disais que j'avais à faire à des gamines adultes, mais des gamines", raconte-t-elle.
Une rencontre avec l'un des membres de la Ligue
A l'époque, pour ne pas nuire à sa situation professionnelle en lien avec des marques, la blogueuse décide de faire le dos rond : "Mon parti, ça a été de ne jamais répondre à ces gens-là, je ne voulais absolument pas nourrir leurs occupations quotidiennes. Je voyais tous les trucs passer, ça me dérangeait beaucoup, mais je ne réagissais pas."
Si elle dit que ça ne l'a pas empêché de "dormir la nuit", Kenza Sadou el Galoui a quand même été "touchée que l'ont dévalorise le média sur lequel [elle s]'exprime, qui est celui qu'[elle a] créé".
Une fois, elle rencontre un des protagonistes dans la vraie vie : "Je savais très bien qui il était et il savait qui j'étais. Mais je n'avais pas envie de créer de malaise à ce moment-là parce qu'il y avait d'autres personnes présentes. Je ne voulais pas leur donner de l'importance à ces gens On s'est regardé dans les yeux, et clairement, il n'a pas fait le malin. Il n'a pas cherché à discuter."
Si elle a reconnu beaucoup de noms dans la liste des membres de la Ligue du LOL sortie dans les médias, Kenza Sadoun el Galoui explique que certains ne sont pas encore connus : "Je pense qu'ils savent et qu'aujourd'hui, ils ne sont pas sereins."
Les attaques antisémites contre Laurence Guenoun
La photographe Laurence Guenoun a, elle, dû subir entre autres des attaques antisémites. A l'époque, elle écrit de temps en temps sur le site Mégaconnard. Elle raconte comment tout a commencé. Un des membres de la Ligue du LOL avait utilisé l'une de ses photos de "Mégaconnard", homme à l'origine du site du même nom, pour y ajouter une étoile juive : "Cela m'a mise en colère. Ils s'en prenaient à lui violemment".
Elle écrit alors un billet sur le site en les attaquant sans les nommer : "Il y a eu un déchaînement de commentaires sous le billet, de @jesuisunblog, il y avait Gautier Gevrey sous @woumpah, le mec du Tag Parfait @Desgonzo, et ça a continué ensuite sur Twitter. Des photos montages, ce qu'ils faisaient avec tout le monde."
"Ils ont dû se dire : 'Laurence Guenoun, elle est juive, on va taper dessus', alors que je ne suis même pas juive. C'était absurde. Par contre, ça avait cet impact de me mettre en colère. Mais je ne me sentais pas menacée. Ils n'ont pas porté atteinte à mon boulot. Mais je ne suis pas journaliste, je n'étais pas dans la même problématique que certaines autres victimes."
Dans les photos-montages qu'elle met en cause, il y a notamment celui qu'elle tweete ci-dessous.
A la suite de cette vague de harcèlement, la photographe a monté un dossier avec des captures d'écran et s'est rendue à la police pour porter plainte pour antisémitisme : "Je faisais des captures d'écran et j'ai tout gardé parce qu'un jour, je me suis dit : 'Karma'."
Là, les policiers lui ont répondue : "On ne peux rien faire, c'est internet". "A l'époque, c'était obscur pour eux, ça l'est encore pour beaucoup de monde" déclare-t-elle.
"Ils m'ont dit de faire une lettre au procureur. J'ai fait une lettre, avec un dossier fourni. Je n'ai jamais eu de réponse. J'ai fait un dépôt de plainte sur sosantisemitisme.org, qui luttait contre l'antisémitisme en ligne, avec captures d'écran à l'appui. Pas de réponse."
Elle raconte son acharnement à trouver des solutions : "Moi, c'était le principe de l'impunité qui me dérangeait chez ces gens-là. C'était ce procédé en toute impunité : 'Je peux faire chier le monde et m'en tirer à bon compte parce que je suis 'cool''. Non, en fait, je ne suis pas d'accord."
Elle finit, après de multiples recherches, par trouver le numéro de téléphone de l'un des hommes à l'origine du photo-montage avec la vache : "J'ai passé un coup de fil, je n'ai pas été très sympa, j'avoue, vraiment pas. Suffisamment pas sympa pour que ça le refroidisse un grand coup, et qu'il disparaisse le lendemain pendant six mois des réseaux sociaux. Quand les autres attaquaient par petites salves, je leur proposais de leur passer un petit coup de fil. Bizarrement, après c'était calme plat et ça c'est réglé comme ça."
Laurence Guenoun n'a pas de difficulté à repérer à l'époque tous les membres du groupe : "Ils étaient nombreux, mais c'était assez simple de savoir qui en faisait partie. Il suffisait de voir qui faisait les questions-réponses. L'organigramme était simple, il ne fallait pas être Sherlock Holmes. J'ai même les adresses IP. Ils étaient très couillons, ils croyaient tellement à leur impunité qu'ils ne se rendaient même pas compte qu'en laissant des messages en commentaires sur Megaconnards, nous avions accès à leurs adresses IP."
Des excuses "bidons"
Les seules excuses qu'elle accepte parmi toutes celles qui se sont succédées suite aux révélations, ce sont celles de Baptiste Fluzin : "Je dois avouer, c'est une vraie remise en question, une vraie lettre d'excuses. Ça force le respect. Des années plus tard, il réalise qu'il s'est comporté comme une pauvre merde. Les autres, c'est du gros bidon, c'est presque injurieux de leur part."
Pour ce qui arrive aujourd'hui aux membres de cette Ligue du LOL (la plupart d'entre eux ont été mis à pied), Laurence Guenoun dit pouvoir "difficilement les plaindre" mais "avoir beaucoup de pitié pour eux". "Ça leur revient dans la gueule."
Kenza Sadoun el Galoui regrette elle de ne pas avoir signalé ces harceleurs qu'on appelait à l'époque des "trolls" : "Avec le recul j'aurais dû le faire. Quand je vois tous les témoignages, je m'en suis beaucoup voulu. Je trouve ça nul de ne pas avoir réagi, j'ai eu de la chance parce que je m'en suis sortie plutôt bien. Pour moi, ça devenait la normalité d'en recevoir tous les jours."
"Twitter ces derniers jours, c'est devenu règlement de compte à O.K. Coral", regrette cependant Laurence Guenoun. "Beaucoup confondent se clasher et harceler. On se clashait beaucoup sur Twitter à l'époque parce qu'on était pas d'accord avec les idées de l'autre ou parce qu'on avait dit une connerie".
Elle a contacté un ami avocat, Rubin Sfadj, de l'association faisant la promotion de la mixité Jamais sans elles. Elle aussi, tout comme la Fondation des Femmes, a décidé de proposer l'aide de son groupe d'avocat·es pour aider les victimes de ces cyber-harcèlements.