"Les mêmes yeux de chat, le même nez rond, les mêmes longues nattes, le même médaillon. Le seul détail qui les distinguait, c'était la couleur de leur peau". Avec son éblouissant nouvel album pour enfants, Laure Nsafou narre l'histoire de deux petites filles, Iris et Jada. Deux jumelles qu'une simple nuance de peau sépare. Et c'est déjà beaucoup quand l'on doit essuyer, comme Jada, les remarques racistes des villageois environnants.
C'est d'ailleurs pour cela que la jeune fille décide de prendre la poudre d'escampette. "Ici, tout le monde dit que tu es dorée et claire comme le soleil. Mais moi, on dit que je suis foncée comme un corbeau ! Et Mamie dit tout le temps que je ressemble à un enfant de la Nuit. Peut-être que j'en croiserai un dans la forêt et qu'il m'emmènera dans son village ? Comme ça, je découvrirai un endroit où l'on ne se moque pas de moi", décoche Jada à sa soeur jumelle. Cette dernière part alors à sa recherche, au fin fond des bois...
Le colorisme, c'est cette forme de racisme que subissent, par exemple, les femmes noires à la peau plus sombre que celle des femmes métissées. Un thème rarement évoqué. Presque tabou. De quoi faire du Chemin de Jada un opus essentiel pour qui s'intéresse de près ou de loin à la littérature de jeunesse. Mais aussi pour tous les parents qui souhaiteraient proposer à leurs enfants des lectures aussi éveillées que visuelles.
D'autant plus que l'ouvrage en question est signé par le duo Laura Nsafou/Barbara Brun, à qui l'on doit le véritable phénomène éditorial Comme un million de papillons noirs. Une perle du genre, financée par le biais d'une campagne de crowdfunding, et qui avait finalement dépassé le pic des 10 000 exemplaires vendus.
Autant dire que Le chemin de Jada vaut largement le coup d'oeil. Et voici quatre bonnes raisons de l'intégrer à sa bibliothèque.
Par-delà l'écriture de Laure Nsafou et sa musicalité, Le chemin de Jada doit toute sa magie aux illustrations féeriques de Barbara Brun. Empreintes de couleurs chaudes, ces esquisses nous englobent dans un monde merveilleux qui éblouit. Les terres de Jada sont imprégnées de soleil et le ciel qu'elle contemple d'étoiles. Les astres lumineux traversent ces planches où s'entrecroisent chats noirs et volatiles divers, au sein de forêts majestueuses où l'on s'égare volontiers.
Vous l'aurez compris, Le chemin de Jada se savoure avec les yeux, comme tout album pour enfants réussi. Le contraste omniprésent entre sources lumineuses et obscurité dévorante traduit à la perfection ce sentiment d'exclusion qui incite notre jeune héroïne à fuir. S'échapper à l'aveugle, pour mieux chercher un endroit où "une peau foncée [susciterait] l'admiration, où ses reflets brillants inspireraient les plus beaux chants". Un monde idéal en somme.
Iris et Jada ont beau être jumelles, elles n'ont pas le droit à la même considération. La peau de la première est "aussi claire que l'acacia" et celle de la seconde "aussi foncée que le cacao". De simples nuances dira-t-on. Mais ce détail a le poids d'un monde. Aux yeux du village que déserte notre protagoniste, il n'est pas perçu comme une différence mais "comme un défaut", déplore Laura Nsafou.
Aborder un thème aussi tabou que le colorisme n'a rien d'évident, ni d'anodin. Surtout quand il s'agit d'adapter ses mots à un jeune public. D'où le choix ingénieux de l'autrice : investir les territoires du conte et de la fable, idéaux pour énoncer les maux de notre société par le biais de l'allégorie et de la métaphore. Malin et fédérateur.
Résultats, la discrimination que subit Jada est un véritable enjeu dramaturgique, mais aussi le point de départ d'une aventure des plus dépaysantes. Et cette odyssée universelle aboutit à une ode salutaire à cette peau qui génère tous les complexes : les teints de Jada et Iris sont comparées au cosmos et à la voûte étoilée.
De quoi décomplexer bien des jeunes filles tout en épinglant les âmes les plus intolérantes.
Vous suivez peut être Laure Nsafou sur les réseaux sociaux. L'autrice y partage ses découvertes littéraires sous le nom de Mrs Roots. Mais aussi les réactions des (jeunes) lectrices et lecteurs face à ses ouvrages inspirants et bienveillants. Comme celle-ci, consacrée à son précédent album pour enfants, Comme un million de papillons noirs : "C'est une jolie histoire sur l'acceptation de soi qui parlera aux petites filles et petits garçons qui ne savent pas encore que sous leurs magnifiques couronnes se cachent de beaux papillons".
Comme un million de papillons noirs est effectivement une célébration des "couronnes", c'est-à-dire les cheveux crépus, ces tifs toujours sources de préjugés, de honte et de violences quotidiennes, de la cour de récré au milieu professionnel. Or, la chevelure de la petite fille noire Adé, héroïne du récit, est comme "un million de papillons noirs sur la tête", assure l'autrice. Un souci d'inclusion qui dénote encore dans la littérature jeunesse hexagonale.
Il faut dire que l'engagement de Laure Nsafou n'est plus à prouver. Avec Le chemin de Jada, l'écrivaine nous offre d'ailleurs un tout aussi beau message de tolérance. Et confère à sa militance affirmée la douceur de l'inspiration poétique : "Jada n'a qu'à lever les yeux pour être rassurée : que l'on soit le soleil, les étoiles ou la lune, il existe de nombreuses manières de briller", philosophe la conteuse. Empouvoirant.
Si l'on aime tant à arpenter les chemins déployés par Laura Nsafou et Barbara Brun, c'est avant tout pour s'évader. Constellations vivaces qui conversent et hiboux qui veillent, longues branches sur lesquelles l'on scrute le monde (la tête en bas) et feuilles noires ponctuant les vastes nuits bleutées... Cet imaginaire à hauteur d'enfants fera rêver petits et grands.
Le chemin de Jada, de Laura Nsafou et Barbara Brun.
Editions Cambourakis. 32 p. A partir de 3 ans.