Voilà de quoi nous faire patienter avant la sortie d'un tant attendu quatrième opus. Le temps d'une interview solo accordée à Netflix (c'est à dire, sans sa soeur Lana), la réalisatrice Lilly Wachowski est revenue sur le sens de leur plus fameux film : Matrix. Et notamment sur cette grande question : Et si l'épopée de l'élu Néo (Keanu Reeves), déclinée en trilogie, était avant tout une histoire de transidentité ? Cela fait effectivement des années que l'hypothèse de la transition (version science-fiction) engendre toutes les exégèses sur la Toile. Et pour cause, bien que spectaculaire à souhait, le cinéma des Wachowski a toujours été très personnel.
Difficile alors de ne pas raccrocher Matrix au parcours perso de ses cinéastes, c'est à dire à la transition de genre opérée en 2010 par Lana et en 2016 par Lilly Wachowski. Et si le cheminement initiatique vécu par Néo s'en faisait inconsciemment l'écho ? Aujourd'hui, Lilly Wachowski valide cette hypothèse. Elle explique : "Je suis heureuse que cette intention initiale ait été révélée. A l'époque, le monde de la production n'était pas prêt pour cela".
Comme l'énonce le site des cultures LGBTQ Pride.com, la réalisatrice évoque pour appuyer cette interprétation l'exemple du personnage de Switch (interprété par l'actrice Belinda McClory), "qui à l'origine devait être un homme dans le monde réel et une femme dans la matrice". Limpide !
Des révélations qui ne devraient pas étonner celles et ceux qui suivent ses déclarations. Dans les pages du Hollywood Reporter, Lilly Wachowski nous expliquait encore récemment à quel point l'histoire de Matrix était née "de beaucoup de colère, contre le capitalisme et toutes les formes d'oppression, mais aussi d'une rage bouillonnante concernant ma propre oppression, subie pendant tout ce temps où je [me forçais] à rester dans le placard". Il est donc logique de voir en cette trilogie allégorique une projection de l'expérience trans. Aujourd'hui, la cinéaste découvre que ses films ont importé pour le coming out transgenre de bien des fans, et cela la réjouit.
"De par leur changement de sexe, on peut très bien imaginer les problèmes et les réflexions auxquels les Wachowski ont pu être confrontées. Certaines de leurs oeuvres évoquent logiquement la manière dont des protagonistes blancs hétéronormées (comme ceux de Matrix) vont sortir des cases qu'on leur impose. Et par-là même, de leurs privilèges", nous racontait l'an dernier Erwan Desbois, auteur du passionnant Lilly et Lana Wachowski : la grande émancipation (éditions Playlist Society). C'est là l'une des nombreuses facettes d'un art que l'écrivain envisage "non seulement comme féministe mais également comme antiraciste et anticapitaliste".
"Dans Matrix, hommes et femmes sont vêtues des mêmes tenues, adoptent les mêmes codes vestimentaires. Il n'y pas de distinction genrée ou de sexualisation forcée des personnages féminins. C'est une démarche que les cinéastes ne cesseront jamais de poursuivre", poursuit encore l'auteur. Matrix, allégorie trans, déboulonnerait donc au passage les stéréotypes de genre. C'est dire si l'on est pressé de voir la suite, vite !