Attablez-vous à une terrasse de café et observez les clients autour de vous. Seuls, ils consultent leurs smartphones. En tête-à-tête, idem, quand l’un d’entre eux n’est pas discrètement en train de jouer d’un doigt à un jeu vidéo idiot ou d’envoyer des SMS à un tiers, trop frustré par une conversation unique. Dans les lits conjugaux, les vieux couples surfent chacun sur leur tablette pendant que dans leurs chambres, les enfants tchatent sur Facebook, textotent frénétiquement, jouent en réseau ou matent fébrilement des vidéos sur Youporn, le nouveau professeur ès sexualité de toute une génération gavée aux images accessibles à tous et à toute heure.
Le Web, cet inconnu dans la maison, condamne-t-il les familles à un individualisme aussi exacerbé qu’inévitable ? Et que faire contre les éventuels excès de certains face à ces contenus diffusés à volonté, à l’angoisse de savoir ses enfants en contact potentiel avec des prédateurs protégés par l’anonymat d’un écran désincarné ?
Jason Reitman ne porte pas de jugement extrême quant aux dangers de la méchante toile. Si Jennifer Garner, mère occupée à traquer les comptes, mails et téléphone et sa fille, porte dans Men, Women and Children le discours alarmistes des plus "anti", elle n’en sera pas moins découragée, tant il semble impossible aujourd’hui d’imposer une quelconque interdiction excessive à la jeune génération dans ce domaine.
Quant aux parents, ils ne sont pas en reste, succombant aux plaisirs solitaires d’un petit porno consommé après des semaines d’abstinence conjugale (le toujours épatant Adam Sandler), aux sirènes des rencontres en ligne ou des call girls attrayantes occupées à appâter le chaland dans des coins d’écran. Les enfants, eux, se perdent dans les jeux en réseau et l’impression confortable de s’y être construit une bande de copains pas chiants car virtuels, prennent trop de photos, affichent leur intimité au tout-venant et préfèrent se dire les choses par SMS plutôt que d’user de cette bonne vieille technique qui consiste à se parler de vive voix. Question rapports amoureux, si nos idylles adolescentes étaient souvent tâtonnantes, du côté des "natives", « it’s [very] complicated ». Les garçons sont incapables de s’échauffer sans gonzo. Quant aux filles, enhardies par la facilité de l’écrit et l’impératif d’être sexy, leurs cœurs de midinettes ne semblent paradoxalement pas bien différents de ceux qui ont battu chez les générations précédentes.
Si l’on peut déplorer l’aspect « catalogue des méfaits du Web » d’un film très centré sur son sujet principal, les acteurs, parfaits, et la réalisation impeccable contrebalancent l’effet dissertation de ce long-métrage que les parents aimeront, heureux de trouver enfin un écho à leurs angoisses, leurs interrogations et leurs colères quotidiennes.
Ces dispositifs destinés à tous nous rapprocher nous éloignent-ils finalement chaque jour davantage les uns des autres ? Quid de la question de l’intimité pour notre progéniture ? Comment se parler entre générations alors que l’écart n’a sans doute jamais été aussi grand qu’aujourd’hui ? Que deviendra notre sexualité éveillée au spectaculaire avant même la puberté ?
S’il est évidemment trop tard pour faire machine arrière, il est toutefois important de s’interroger, et ce film le fait en beauté.
Men, Women & Children, de Jason Reitman, Avec Ansel Elgort, Jennifer Garner, Adam Sandler (sortie le 10 décembre 2014).
La bande-annonce de Men, Women & Children :